Musique savante, musique sérieuse, Grande musique… dans notre langage courant on entend plus souvent l’expression “musique classique”. Pourquoi ? Trois indices : littérature, Beethoven et marketing.
Ni Bach, ni Haydn, ni aucun autre compositeur ne se présentaient comme des musiciens “classiques” ! Cela semble évident, et pourtant l’expression est tant et si bien répandue qu’on en oublie comment elle a peu à peu conquis notre langage et ce qu’elle révèle de notre conception du répertoire.
Classique n’est pas classicisme
Il y a musique classique au sens strict, musicologique, et musique classique au sens large. Pour un musicologue, le terme ‘classique’ s’applique ainsi à une période précise de l’histoire de la musique : celle de Haydn, Mozart et Beethoven.
En revanche, lorsque nous employons l’expression “musique classique” dans nos conversations de tous les jours, nous faisons aussi bien référence à une cantate de Bach qu’à un opéra de Donizetti… bref, nous parlons de l’ensemble du patrimoine musical ‘savant’.
Un musée imaginaire
La ‘musique classique’ est donc un concept, concept que le musicologue britannique Nicholas Cook décrit comme un ‘musée musical imaginaire’, dans lequel trônent côte à côte les plus grandes œuvres et les plus grands compositeurs de notre histoire occidentale, et auxquels nous nous référons par un seul et même élément de langage.
Mais alors que beaucoup des œuvres de ce ‘musée imaginaire” ont été composées pour des événements précis (messes, cérémonies royales…), sans aucune anticipation de leur postérité, comment est née l'idée d'un patrimoine musical ?
D’après Nicholas Cook, nous en héritons du célèbre Ludwig van Beethoven. Car il a été le premier à composer pour les générations à venir, et à envisager que ses œuvres puissent lui survivre et traverser les siècles.
Culture d’en haut
Parler de “musique classique”, c’est donc se référer à notre patrimoine musical, mais pas seulement. Le “classique” est aussi une pratique socio-culturelle, un marqueur social. Aller au théâtre, à l’opéra, ou suivre des cours au conservatoire, est souvent perçu comme élitiste.
Une étiquette bourgeoise dont les salles, les musiciens et les médias spécialisés peinent encore à se débarrasser et, pour cause, elle ne date pas d'hier...
Au XIXe siècle, la musique a connu une première phase de 'démocratisation". Grâce, entre autres, à l'ouverture de grandes salles publiques (théâtres, maisons d’opéra…), elle rencontre un plus grand nombre d’auditeurs. Mais elle se fait aussi et surtout l’apanage d’une classe sociale en plein essor : la bourgeoisie.
Le mot juste
Jusqu’à récemment - une cinquantaine d’années environ - le vocabulaire trahissait encore cette hiérarchie des genres : on parlait ainsi de “Grande musique” ou de musique “savante”, deux expressions qui semblent bien désuètes aujourd’hui…
Pourquoi le terme ‘classique’ s’est-il imposé ? Peut-être, justement, pour tenter de rompre avec cet élitisme. Pour l’industrie musicale - en pleine expansion à compter de la seconde moitié du XXe siècle, avec l’invention du disque puis la révolution numérique - comme pour les médias, proposer l'écoute ou l'achat de musique “savante” peut se révéler trop excluant, trop clivant.
D’autant plus que ce sont ces mêmes maisons de disques, distributeurs, radios et télévisions qui sont souvent en charge de la promotion d'autres genres musicaux. Il ne s’agirait donc pas de les présenter comme moins savants ou moins importants. Or, bien souvent la frontière est mince entre musique classique, musique traditionnelle, musique actuelle ou encore musique de films...
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Classique vs Populaire
Ajouté à n’importe quelle forme d’expression artistique (musique, peinture, architecture, littérature…), l’adjectif “classique" renvoie à une même idée : celle de la non contemporanéité.
Car c’est bien ça, finalement, la musique classique : des œuvres intemporelles - par opposition à celles qui restent associées à une certaine époque (par exemple, le chant des troubadours, mais aussi le rock britannique des sixties). Des œuvres qui se transmettent à l’écrit, par des partitions, et qui exigent une écoute attentive (rares sont les occasions de danser ou chanter durant un concert ‘classique’).
De la littérature à la musique
C’est pour la littérature que l’on employait, à l’origine, le terme “classique”. Lorsqu’il apparaît pour la première fois dans le dictionnaire de l’Académie française, en 1694, il désigne ainsi et exclusivement « un auteur ancien fort approuvé et qui fait autorité dans la matière qu’il traite ».
Si seuls les grands penseurs de l'antiquité, comme Aristote et Platon, sont initialement considérés comme des ‘classiques', le terme s’étend au fil des siècles à tous les grands auteurs étudiés dans les classes et considérés comme exemplaires : Baudelaire, Camus, Hugo, Maupassant, Céline, Duras… et comme il a permis de qualifier ces hommes et femmes de lettres, l’adjectif s’est ensuite étendu au Panthéon des grands compositeurs.