Professeur de conservatoire : un parcours du combattant qui mène à la précarité

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Professeur de conservatoire : un parcours du combattant qui mène à la précarité

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Blend Images - KidStock
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Le service public de l’enseignement artistique serait-il menacé ? Les professeurs de musique au conservatoire, attachés à la fonction publique territoriale sont aujourd’hui moins de 30 000 sur un total de 1 800 000 fonctionnaires. Quel est leur parcours ? Explications.

Depuis quelques jours, une pétition en ligne veut alerter l’opinion publique de « la fin du service public de l’enseignement artistique en France ». A l’origine de cette initiative, le nouveau report du concours de la fonction publique territoriale pour le grade d’assistant territorial d’enseignement artistique, initialement annoncé pour janvier 2017.

Les assistants territoriaux d’enseignement artistique, ce sont les professeurs de conservatoire ou école de musique municipale qui ont réussi à passer le concours. Or, le dernier concours organisé par les Centres de gestion de la fonction publique territoriale date de 2011 et depuis, il a été plusieurs fois reporté.

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« Pour l’instant, il n’y a aucune date arrêtée. On parle de 2019, mais rien n’est encore confirmé », explique Corynne Aimé de la SNAM-CGT.

Pétition pour l'ATEA
Pétition pour l'ATEA

Si le concours de la fonction publique territoriale est si attendu par les jeunes enseignants, c’est parce qu'il constitue le précieux sésame permettant d’accéder à la liste d’aptitude et d’être titularisé par la collectivité qui l’embauche. Et de sortir enfin de la précarité, qui est le quotidien d’une grande majorité des professeurs de musique fraîchement diplômés pendant de longues années.

« La précarisation de notre profession est un problème qui va en s’aggravant », explique Corynne Aimé. « Cela fait plus de six ans que les jeunes diplômés sont contractuels sur des emplois permanents. Certaines collectivités embauchent illégalement sur les contrats de dix mois, à temps non-complet, ou enchaînent les contrats à durée déterminée au-delà des deux ans prévus par la loi, pour éviter de mettre fin à une collaboration et embaucher une nouvelle personne. Pour garder leur poste, les enseignants subissent très souvent des pressions de la part de leur employeur, en attendant de pouvoir passer le concours et d’être enfin titularisés. »

Maëlle est professeur de harpe. Il y a quelques semaines, elle a reçu la notification du Centre de gestion de la fonction publique territoriale de sa région qui l’informe de l’annulation du concours annoncé pour janvier 2017 auquel elle a présenté sa candidature. Depuis 2010, Maëlle enseigne la harpe dans un conservatoire intercommunal et dans trois écoles de musique associatives, sur deux départements voisins. La collectivité qui l’embauche la garde sous le statut d’agent contractuel avec son sixième CDD, en attendant qu’elle puisse accéder au concours de la fonction publique et qu’elle puisse être titularisée. Alors que son CDI dans les écoles associatives a été signé au bout d’un an, sa carrière au conservatoire est toujours au point mort : contrats renouvelés chaque année et salaire minimum. Cette configuration n’est pas tenable à long terme, comme elle l’explique :

« Cela fait six ans que je travaille sur quatre sites, avec quatre fonctionnements et calendriers différents. Je souhaiterais à terme intégrer un conservatoire plus important pour pouvoir avoir le nombre d’heures nécessaire. Or, suite à ce report du concours, je ne peux même pas répondre aux offres d’emploi. Dans mon cas de figure, on me pousse clairement vers le privé où j’ai un CDI et mon ancienneté est prise en compte. »

Après avoir décroché le premier prix au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, Maëlle a obtenu son diplôme d'Etat (DE). « Depuis que je suis sortie du CNSM de Paris, j’ai l’impression d’être obligée d'enchaîner les concours qui, au final, ne me font pas évoluer. Je me suis demandée si je devrais passer le certificat d’aptitude (CA), pour monter en grade et devenir professeur d’enseignement artistique (PEA), mais cela me semble peine perdue ».

En effet, la différence de salaire d’un assistant par rapport à un professeur est d'environ 200 à 600 euros brut (en début et fin de carrière). Maëlle craint, à terme, que les collectivités ferment les postes des PEA et n’attribuent que les postes d’ATEA, pour faire des économies. Et les candidats seraient alors obligés d'accepter d'être déclassés, pour sortir de la précarité . « De toute façon, dans le contexte actuel, les PEA seront amenés à disparaître, estimés trop chers. Et avec eux, un certain niveau d'expertise, indissociable d'un enseignement de qualité. »

ATEA et PEA : un dédale de diplômes pour un parcours de plus en plus précarisé

Le concours de la fonction publique territoriale est la dernière étape d’un long marathon de diplômes, comme l’explique François Frémeaux, professeur de trompette et président de l’Association nationale des enseignants de disciplines artistiques ( ANEDA ).

« En France, deux voies permettent d’enseigner la musique au conservatoire ou dans une école de musique : en tant qu'Assistant territorial d'enseignement artistique (ATEA), titulaire d'un diplôme d'Etat (DE), ou en tant que professeur d'enseignement artistique (PEA) et titulaire d'un Certificat d'aptitude (CA). »

Les DE et CA sont délivrés pour le premier par onze Pôles supérieurs et quatre Centre de formation des enseignants de musique ( CEFEDEM ), et pour le deuxième, par les CNSM de Paris et de Lyon. Les candidats y accèdent par un concours d’entrée, et suivent pendant deux à quatre ans les modules pratiques et théoriques en sciences de l’éducation, pratiques d’instrument et pratiques collectives, culture musicale, esthétique, connaissances de musiques extra-européennes et des pratiques pédagogiques innovantes.

Comme dans l’exemple de Maëlle, après avoir obtenu son diplôme des études musicales, le jeune professeur de musique repasse un concours pour accéder à la formation au DE ou au CA, et, une fois diplômé, tente les concours des Centres de gestion, parfois plusieurs fois, organisés de façon sporadiques (contre une certaine régularité - tous les 3 à 4 ans - auparavant). En moyenne, une dizaine d’années s'écoulent avant qu’il n'accède à un poste « stable » pour peu que le concours de la fonction publique territoriale ait lieu et qu’il l’obtienne du premier coup.

Marina, professeur de guitare, est passée par la même trajectoire. Elle a l’impression d’un énorme gâchis :

« Dans le cadre de mon concours pour le DE, j’ai dû rédiger un dossier, passer une épreuve de tutorat, c'est à dire donner deux cours devant un jury, puis passer un entretien avec ce même jury, monter un spectacle à but pédagogique et artistique d'environ 45min avec des élèves de conservatoire, passer un entretien de 20min, préparer un programme de concert de 20min joué devant le jury, puis passer un entretien avec ce même jury, qui décortique aussi mon dossier, et enfin monter un spectacle avec mes camarades de promo puis passer un entretien de 20min. Maintenant je dois me présenter au concours de la fonction publique territoriale, avec de nouveau un dossier sur ma pédagogie et mon parcours artistique et un entretien. Ce concours ressemble beaucoup aux épreuves terminales pour obtenir mon Diplôme d'Etat de professeur de guitare. Si je le réussis, j’accède au statut d'Assistant d'Enseignement Artistique principal de 2e classe, c'est à dire à l'échelon le plus bas de la grille sur la liste d’aptitude.»

Thibault, diplômé en musicologie, est lui aussi en attente du concours. « Depuis 2009, je suis dans une collectivité qui m'a permis d'obtenir depuis maintenant 4 ans un poste à temps plein 'titularisable'. J'attends comme beaucoup d'entre nous le prochain concours de titularisation qui, aux dernières nouvelles, pourrait éventuellement, avoir lieu en 2019. Pour résumer, je suis dans l'attente d'un sursaut de l'Etat pour débloquer ma situation. Je ne suis pour autant pas le plus à plaindre vu que ma collectivité continue à me garder quand bien même j'ai dépassé le nombre de deux CDD (catégorie B) en prétextant, à juste titre, que je me dois de me présenter au prochain concours de titularisation et donc de le réussir ! Sauf qu'il va y avoir beaucoup de monde puisque le dernier concours remonte à je ne sais plus quand et que le prochain n'est toujours pas officiellement prévu.»

Si la date de 2019 se confirme, cela fera huit ans qu'aucun concours n'aura eu lieu, alors que les autres concours de la fonction publique territoriale sont - pour la plupart - annuels. Et pendant tout ce temps, de nouveaux jeunes diplômés sortent des centres de formation chaque année :

« A 25 étudiants en moyenne par promotion, on peut s’attendre à plus de 2000 candidatures au prochain concours. Pour 300 postes, pour peu que toutes les collectivités déclarent les postes vacants, on est loin du compte. Et surtout, on se demande ce qu'il adviendra de tous ceux qui n'auront pas le concours et seront donc licenciés ? » déplore Corynne Aimé.

Chantal Boulay, présidente de l’Association des professeurs de formation musicale (APFM) constate que la précarisation de la profession remet en cause l’orientation des élèves vers le métier d’enseignant de musique :
« De mes élèves du 3e cycle, quatre-vingt-dix pour cents seront de bons amateurs, alors qu’ils ont fait tout ce parcours déjà. De voir ‘galérer’ les jeunes diplômés pendant des années ne les décide pas à envisager une carrière dans l'enseignement artistique, et ils sont nombreux à penser qu’ils ne feront pas de la musique leur métier, ou qu’ils ne pourront pas rester dans l’enseignement toute leur vie. C’est un grand changement par rapport à ma génération, où ce genre de réflexion n’existait pas. »

Autant dire que le parcours du professeur de conservatoire est loin d'être un long fleuve tranquille.

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