Des arracheurs de dents aux machines bruyantes du cinéma, en passant par un art martial secret, la musique sert parfois à nous cacher la réalité d'une situation, souvent dérangeante, voire douloureuse et même peut-être dangereuse.
Il existe des œuvres de musique qui exigent une écoute passive, comme la Musique d’ameublement d’Erik Satie ou la musique d'ambiance de Brian Eno. N’oublions pas également 4'33", l’œuvre silencieuse de John Cage qui fait musique de toute expérience auditive entourant le spectateur. Mais il existe également une musique conçue expressément afin de couvrir d'autres sons, une musique à écouter précisément afin de nous distraire et de cacher l’existence d’un autre élément perturbateur.
La fanfare de l’arracheur de dents
« Mentir comme un arracheur de dents ». L’expression ne date pas d’hier, et fait référence aux dentistes itinérants des fêtes foraines dès le XVIIe siècle. Spectacle souvent présenté sur les places publiques, le dentiste se vante de ses incroyables talents, capable notamment d’arracher une dent sans la moindre douleur. A ses côtés sur l’estrade, un ensemble d’instruments bruyants, dont souvent un tambour, une grosse caisse, un cornet à pistons et un trombone, engagés pour attirer l’attention des passants.
Le spectacle de l'arracheur de dents était une opération bien huilée, comme l'explique Jean-Claude Tsavdaris dans Les saisons paysannes - Ces gens de Puisaye. Volume 5 (2002). Avec l’aide d’un complice, le dentiste fait une première démonstration convaincante, dans l’espoir ensuite d’attirer un membre de la foule. Une fois la « victime » séduite par les talents du dentiste, arrive la deuxième fonction de l’ensemble musical. Car derrière les promesses de l’arracheur de dents se cache une réelle douleur insoutenable pour le patient. Afin de cacher les cris de ce dernier, il demande alors à ses musiciens de jouer le plus fort possible. Le public n’entend rien, et la réputation de l’arracheur de dents reste intacte.
La capoeira, l’art martial caché par la musique ?
Jeu, danse ou art martial ? Immédiatement reconnaissable par ses mouvements singuliers, la capoeira semble être en réalité un mélange des trois. Les origines exactes de la pratique afro-brésilienne sont peu connues en raison d’un manque d’informations précises, mais cette absence d’informations découle précisément de la nature secrète de la pratique.
A l’origine, la capoeira serait un art martial créé par le peuple africain capturé par les Portugais et amené en tant qu’esclave au Brésil au XVIe siècle, mis au travail dans les champs pour récolter la canne à sucre. Ce sont ces esclaves venus d'Afrique qui créent la première forme de la capoeira, pratique collective censée entretenir la forme physique mais aussi forme d’art martial pour apprendre l’autodéfense.
Cependant, la pratique d’un art martial par les esclaves aurait inquiété les maîtres, ces derniers souhaitant éviter toute possibilité de révolte. Afin de dissimuler la vraie nature de leur art, les esclaves auraient ajouté de la musique, faisant ainsi passer leur art martial comme sorte de danse inoffensive. Cachés dans les éléments musicaux et rythmiques de la capoeira, les coups de pied violents seraient déguisés en mouvements de danse passionnés.
L'histoire est inspirante mais les origines de la capoeira ont sans doute été romantisées. En effet, comme l'explique Matthias Röhrig Assunção dans son livre Capoeira - The History of an Afro-Brazilian Martial Art (2005), nombreuses des premières sources sur la capoeira indiquent que les maîtres n'étaient que trop conscients du danger potentiel de la capoeira pratiquée par des esclaves, malgré la façade musicale de la pratique.
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Une fois l'esclavage aboli au Brésil en 1888, les principes de combat de la capoeira sont utilisés à des fins criminelles et violentes, et plusieurs gangs sont formés au nouvel art martial. Le gouvernement brésilien interdit ainsi la capoeira en 1890. Toute personne pratiquant l’art martial est envoyée en prison ou exécutée (dans certains cas extrêmes, les tendons d’Achille des coupables sont même sectionnés.) Ce n’est que dans les années 1930 que la Capoeira est décriminalisée pour finalement devenir une pratique culturelle et artistique nationale.
Les premières fonctions de la musique au cinéma
Le cinéma et la musique est une association qui remonte à bien avant la genèse du septième art, à l'époque du mélodrame théâtral du XIXe siècle. Comme au théâtre, la musique permet de créer une ambiance précise et de ponctuer les moments forts d’une scène. Cependant, elle remplit également une autre fonction moins évidente mais tout aussi essentielle : dissimuler le bruit du projecteur. En effet, ce dernier risque de mettre en évidence la supercherie de l’illusion cinématique et ne servirait qu'à rappeler au public la nature artificielle du médium.
A l’époque des premières projections cinématographiques, l’idée d’une cabine de projection séparée du public n’est pas encore une évidence. Le projecteur est ainsi placé dans la salle avec le public, malgré le bruit de sa machinerie. L’idée vient alors de faire jouer de la musique dans la salle afin de cacher les bruits de la machine.
L'accompagnement d’une musique extra-diégétique (musique dont l’origine est extérieure au contexte de la scène) permet de distraire le public de cette évidence, conservant ainsi l’illusion théâtrale en déguisant auditivement la machinerie nécessaire à sa création.
Le bruit est un tel sujet que les nouveaux projecteurs au début du XXe siècle se vantent notamment de leur technologie silencieuse. En 1907, le catalogue du grand magasin américain Sears, Roebuck & Co. annonce le nouveau projecteur Optigraph, plus silencieux de tous les projecteurs, affirmant qu’« il n’est plus nécessaire de faire jouer en continu un piano, orchestre ou autre instrument afin de cacher le bruit pendant la projection des films ».
Une fois les projecteurs et autres bruits parasites maîtrisés, il ne serait alors plus nécessaire de faire jouer de la musique. Mais il est désormais impensable pour les publics de regarder un film sans musique, tellement l’association est enracinée dans le succès du medium. Née d'un besoin fonctionnelle, la musique de cinéma devient alors un élément essentiel du septième art.