Qui était Percy Grainger, superstar atypique de la musique classique ?

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Qui était Percy Grainger, superstar atypique de la musique classique ?

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Percy Grainger, superstar musicale aux multiples facettes
Percy Grainger, superstar musicale aux multiples facettes
- Grainger Museum

Largement méconnu en France, le compositeur australien Percy Grainger est pourtant de son vivant une figure internationale, connu autant pour ses œuvres musicales que pour ses mœurs pour le moins excentriques !

A propos du compositeur et musicien Percy Grainger (1882-1961), le compositeur norvégien Edvard Grieg affirme dans une interview en 1907 : « C'est un génie que nous scandinaves ne pouvons qu'aimer. » Quant au compositeur britannique Benjamin Britten, il qualifie l’enregistrement par Grainger du concerto pour piano de Grieg comme l’un des plus nobles gravés sur disque.

Pianiste international virtuose et compositeur d’airs célèbres, dont notamment son arrangement de la chanson folklorique Country Gardens qui bat les records de vente de son éditeur pendant 75 années consécutives, le compositeur australien Percy Grainger est au début du XXe siècle une figure majeure de la scène musicale internationale, imposant des cachets énormes et jouant à guichets fermés lors de concerts qu’il donne à travers le monde.

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Pianiste superstar international

Né à Brighton, Victoria, en Australie le 8 juillet 1882, Percy Grainger fait ses débuts sur scène en 1894 à l'âge de 12 ans. Ses talents musicaux loués à l’unanimité par la presse australienne, il est envoyé en Europe afin de poursuivre des études de piano et de composition au Hoch Conservatorium de Francfort. Il profitera également à Berlin des conseils du compositeur italien Ferruccio Busoni.

Il s'installe à Londres en 1901 et devient rapidement la coqueluche des salons londoniens et de l'aristocratie britannique. Il se produit dans les plus grandes salles de concert et festivals, et signe ses premières compositions au succès immédiat. Mais au-delà de ses concerts, Percy Grainger se fait surtout connaitre pour avoir généré un regain d'intérêt pour la musique folklorique. Ses efforts novateurs dans l'enregistrement et l’orchestration de chansons folkloriques seront d'une grande influence sur la génération suivante de compositeurs anglais.

Sa renommée traverse l’Atlantique lorsqu’il s’installe aux Etats-Unis en 1914 où il effectue de nombreuses tournées à un rythme frénétique et se produit même à la Maison Blanche au cours de trois présidences différentes. Il atteint une telle renommée de superstar que son mariage avec la poètesse suédoise Ella Viola en 1928 a lieu sur la scène du célèbre Hollywood Bowl pendant un entracte de concert, devant près de 22,000 personnes.

Compositeur avant-gardiste

Pianiste virtuose et compositeur d’airs populaires, Percy Grainger est également un musicien à l’avant-garde de son art, anticipant bon nombre d'innovations musicales majeures du XXe siècle bien avant qu'elles ne s'imposent dans l'œuvre d'autres compositeurs.

Avant les expérimentations impressionnistes avec la gamme par tons (gamme sans demi-tons) de Claude Debussy, Percy Grainer expérimente déjà à l’âge de 15 ans avec cette idée musicale. 30 ans avant l’usage de l’aléatoire dans la musique de John Cage, Percy Grainer compose Random Round en 1912, œuvre pour ensemble de chambre dont l’enchainement de différents thèmes est décidé aléatoirement par les musiciens et le chef d’orchestre. Il signe également de nombreuses œuvres virtuoses jouables uniquement par un pianola automatisé, bien avant l’arrivée des œuvres célèbres pour piano pneumatique de l’américain Conlon Nancarrow.

Grainger détaille également dans ses écrits ses idées d’une musique aussi libre que les sons de la nature, d’une « orchestration élastique » par laquelle le nombre de musiciens d'une œuvre serait modulable.

« Je souhaite jouer mon rôle dans l'expérimentation radicale des mélanges d'orchestre et de musique de chambre qui semble devoir se produire en raison de la démocratisation toujours plus large de toutes les formes de musique. […] Ma partition élastique est destinée à encourager les mélomanes de toutes sortes à jouer ensemble en groupes, grands ou petits, et à promouvoir une attitude plus accueillante envers les musiciens inexpérimentés », écrit-il dans un essai de décembre 1929 intitulé AUX CHEFS D'ORCHESTRE et à ceux qui forment ou dirigent des orchestres d'amateurs, des orchestres de lycées, collèges et écoles de musique et des corps de musique de chambre.

Dans les dernières années de sa vie, il met au point sa vision d’une « Musique Libre » [Free Music]. Fasciné par la multitude de sons naturels qui l'entourent, il est frustré de ne pas pouvoir les retranscrire avec une méthode de création contrainte par les notions archaïques (selon Grainger) de l’harmonie musicale :

« De nombreux compositeurs ont desserré, ici et là, les cordes qui lient la musique. […] Mais aucun compositeur non-australien n'a voulu combiner toutes ces innovations en un tout cohérent que l'on peut appeler « Free Music ». Il me semble absurde de vivre à l'ère de l'avion et pourtant de ne pas pouvoir exécuter des glissements et des courbes tonales - tout aussi absurde qu'il serait de devoir peindre un portrait en petits carrés (comme dans le cas de la mosaïque) et ne pas pouvoir utiliser tous les types de lignes courbes », écrit-il le 6 décembre 1938.

Il conçoit ainsi de nombreuses inventions musicales, dont l’instrument affectueusement surnommée « Kangaroo Pouch » capable de contrôler la hauteur, le volume et le timbre de huit oscillateurs électroniques séparés, afin de créer les tons ondulants et les rythmes sans battement d’une musique véritablement libre. Percy Grainger crée ainsi le premier ancêtre du synthétiseur moderne, commercialisé seulement quelques années après sa mort par Robert Moog.

Les excentricités de Percy Grainger

Musicien célèbre et reconnu où qu'il aille, la star australienne se fait également remarquer pour ses habitudes particulières et son apparence parfois étrange, au point parfois d’être pris pour un vagabond par les gens dans la rue. Il se réjouit notamment de concevoir ses propres vêtements, souvent fabriqués à partir de serviettes colorées.

Percy Grainger, pianiste virtuose, compositeur et couturier
Percy Grainger, pianiste virtuose, compositeur et couturier
- Grainger Museum

Il décide également en 1924 de devenir végétarien. Obstacle non des moindres dans cette démarche : Percy Grainger déteste les légumes. Ses repas seront ainsi constitués principalement de riz, de glace et de gâteaux aux fruits et à la crème.

Loin des lumières de la scène et des regards de la presse, Percy Grainger n’est pas moins excentrique dans ses pratiques personnelles. Dès son adolescence, il révèle régulièrement dans ses écrits et sa correspondance une passion pour le sadomasochisme et une fascination pour les thèmes de la punition et de la douleur. Ses biographes seront unanimes à lier ce penchant sexuel avec la discipline stricte et punition souvent physique qu'il subissait de sa mère quand il était enfant.

Un compositeur commémoré… par lui-même

Homme aux idées excentriques, Percy Grainger ne surprend personne lorsqu’il annonce son intention de faire construire un musée à son honneur en Australie, à l'Université de Melbourne. A sa mort, il lèguera tout son héritage artistique au musée, et même son squelette. Il finance lui-même la construction du bâtiment et l’alimente régulièrement d’objets de sa collection pour les expositions. Il se charge également du recrutement et de la rémunération des conservateurs ainsi que des frais quotidiens du bâtiment.

Un musée autobiographique dans lequel il décide d’exposer et de révéler chaque élément de sa personnalité, dont les plus personnels. C’est ainsi qu’en 1971, les chercheurs et archivistes spécialisés dans l’œuvre de Percy Grainger ouvrent une boîte verrouillée avec l’instruction de ne pas être ouverte avant le dixième anniversaire de la mort du compositeur australien. Ils y découvrent plus de 70 instruments de flagellation, dont certains fabriqués à la main à partir de baguettes de chef d'orchestre, mais aussi une immense collection d’objets pornographiques et des photographies de ses expériences fétichistes.

Plutôt que de cacher cette partie intime, Grainger souhaite au contraire que ces objets soient exposés dans son musée. Dans le manifeste Aims of the Museum, écrit en octobre 1955, il déclare : « Le contenu du musée Grainger a été assemblé avec l'intention principale de jeter la lumière sur les processus de ma composition musicale ». Etant donné que ses penchants sexuels furent, selon ses propres dires, inextricablement liés à son processus créatif musical, il était ainsi important d’exposer cette partie de sa vie afin que le public puisse pleinement comprendre son art.

Percy Grainger tire sa révérence à White Plains, New York en 1961, loin de son pays natal. Mais il y laisse un héritage en tant qu'interprète, compositeur, arrangeur de chansons folkloriques et expérimentateur musical qui le place au firmament des grands noms de la musique australienne et de la musique du XXe siècle.