Radu Lupu, le pianiste prodigieux au toucher de velours, s'est éteint
Par Louis-Valentin Lopez
Le Festival Georges Enescu a annoncé ce lundi 18 avril la disparition de l'immense pianiste roumain, à l’âge de 76 ans. Un poète du clavier, interprète magistral de Schubert et Beethoven, aussi talentueux que discret.
Il s'exprimait rarement dans les médias, par pudeur ou par introversion. Il avait l'habitude de jouer sur une chaise à dossier, au lieu d'un tabouret de piano. Ses doigts glissaient sur le clavier avec une fluidité confondante, captant la moindre nuance avec une finesse extraordinaire. Le Festival Georges Enescu a annoncé ce lundi soir la disparition de Radu Lupu, à l’âge de 76 ans, des suites d'une longue maladie. Magnifique interprète de Schubert, Beethoven, Schumann et Brahms, l'immense pianiste originaire de Roumanie avait le don de transmettre une grande palette d'émotions par son jeu délicat.
Radu Lupu naît à Galatsi en Roumanie, le 30 Novembre 1945. Il commence à prendre des leçons de piano à l'âge de six ans et à douze ans, donne son tout premier concert, avec au programme uniquement des pièces de sa propre composition. Chaque semaine, l'une de ses professeurs l’emmène aux concerts de l’orchestre local, où observe, absorbe et apprend. Lui-même conférera plus tard à sa formation un caractère autodidacte, même s’il étudie dans la classe de la professeure du pianiste Dinu Lipatti, à Brasov. À 15 ans, Radu Lupu découvre avec fascination le pianiste Glenn Gould. Le jeune Radu se met alors à collectionner tous ses disques, tentera de l’imiter, et Gould lui inspirera d'ailleurs son propre style : faire beaucoup en peu de gestes.
Premiers prix en série
À 16 ans, il décroche une bourse pour partir étudier au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou. Il suit d'abord les cours d‘une grande pédagogue du piano, Galina Eguiazarova. Radu Lupu entre ensuite dans la classe du célèbre professeur Heinrich Neuhaus, puis de son fils, Stanislav. De 1967 à 1970, coup sur coup, il remporte trois Premiers Grands Prix de prestigieuses compétitions internationales. D'abord celui du concours Van Cliburn aux États-Unis, en 1967, où la pianiste espagnole Alicia de Larrocha, membre du jury, déclare que c’est un génie. Puis, en 1969, il obtient le premier prix au concours International de pianoforte de Leeds. Enfin, en 1970, Lupu déroche le premier prix du concours Enesco, à Bucarest.
Sa carrière est lancée. Radu Lupu fait ses débuts aux États-Unis avec l'Orchestre de Cleveland, sous la baguette de Daniel Barenboim, ainsi qu'avec l'Orchestre symphonique de Chicago et le chef Carlo Maria Giulini. Il rejoint en l'Orchestre symphonique de San Francisco en 1974, où il interprète le Concerto pour piano de Grieg, dirigé par Seiji Ozawa.
Interprète somptueux de Schubert et Beethoven
Ses répertoires fétiches : Schumann, Brahms, Beethoven, Mozart ou encore Schubert. "Fouiller, approfondir Mozart, Beethoven ou Schubert, on en a pour toute une existence", confiait le pianiste discret, qui n’aimait pas beaucoup être enregistré, ni donner d’interviews. En 1983, il enregistre les deux séries de quatre Impromptus de Franz Schubert (opus 90 et 142), pour le label Decca, avec lequel il n'enregistre que 28 disques en 25 ans de carrière. En 1984, il enregistre avec Murray Perahia une version mémorable de la Fantaisie en fa mineur de Schubert, lors d'une série de concerts au Royaume-Uni.
France Musique a célébré ce pianiste de génie à de nombreuses reprises. Il y a deux ans, à 48h de son soixante-quinzième anniversaire, Philippe Cassard dressait - parmi d'autres nombreuses émissions qu'il lui a consacré - le Portrait de famille de Radu Lupu, avec des documents inédits de récitals donnés aux États-Unis et au Japon. Et fin mars, dans son van Beethoven, Aurélie Moreau nous faisait profiter de ses sublimes interprétations de Mozart et de Grieg.
En 1996, Radu Lupu remporte le Grammy Award de la meilleure performance instrumentale soliste pour son enregistrement de Franz Schubert, Sonate pour Piano en Si bémol majeur et La majeur. Depuis 1995, il refusait d'enregistrer pour le disque, exception faite d'un programme Schubert pour piano à quatre mains avec Daniel Barenboim, sous le label Teldec. Installé en Suisse, Radu Lupu avait mis un terme à sa carrière à l’issue de la saison 2018/2019, pour raisons de santé. Le poète du clavier s'en est aujourd'hui définitivement allé.
France Musique lui rend hommage dès ce mardi 19 avril dans Musique Matin et dans Le van Beethoven. Ainsi que samedi 23 avril dans Portraits de famille.