Recomposed by Max Richter : Vivaldi, the Four Seasons
Avec l’album Recomposed by Max Richter : Vivaldi, the Four Seasons, le compositeur entreprend la réécriture d’un des plus importants chefs-d’œuvre de la musique baroque. Sorti pour la première fois en 2012 sous l'impulsion de Deutsche Grammophon, sa réédition de 2014 est au programme du Bac Musique.
Les Quatre Saisons de Vivaldi
Les termes avec un astérisque sont expliqués dans le Glossaire en bas de page
Œuvre emblématique de l’ère baroque*, Les Quatre saisons (« Le quattro stagioni ») est un ensemble de quatre concerti* pour violon composés par Antonio Vivaldi entre 1720 et 1725. Parus parmi d’autres concerti sous le titre général de Il cimento dell’armonia e dell’invenzione (Épreuve d’harmonie et d’invention) op.8, ils se distinguent par leur vocation éminemment descriptive*.
En effet, Vivaldi ne se contente pas d’associer à chaque concerto une saison de l’année, mais adjoint à chacun un sonnet*, peut-être écrit de sa main, dépeignant la scène que la musique est censée illustrer : l’évolution des paysages avec le temps, la métamorphose de la faune et de la flore et leur répercussion sur les comportements humains.
Auteur de nombreux opéras et autres cantates, Vivaldi est attaché à la dimension littéraire de son art dont il imprègne également ses pièces instrumentales. Le manuscrit des sonnets prouve d’ailleurs l’importance accordée au rapport entre texte et musique ; les différentes strophes s’y trouvent désignées par une lettre de l’alphabet qui se rapporte à un passage précis de la partition. Ainsi, le mot et l’effet musical sont étroitement liés au sein de l’œuvre. On parle dans ce cas de musique à programme*.
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L’œuvre de Vivaldi s’organise comme suit :
- Concerto pour violon en Mi majeur, RV 269, La Primavera (Le Printemps)
- Concerto pour violon en Sol mineur, RV 315, L'Estate (L'Eté)
- Concerto pour violon en Fa majeur, RV 293, L'Autunno (L'Automne)
- Concerto pour violon en Fa mineur, RV 297, L'Inverno (L'Hiver)
Chaque concerto est subdivisé en trois mouvements* (rapide – lent – rapide).
Une brève histoire du concerto
Le mot italien concerto tire son origine du latin concertare qui implique à la fois l’idée d’opposition, de conflit ou de débat, mais aussi de conciliation entre deux parties adverses. En français, il a donné le terme « se concerter », autrement dit : s’entendre afin de prendre une décision en commun. La musique « concertante » consiste donc en une musique dans laquelle un groupe d’instrumentistes ou de chanteurs dialogue avec un autre.
S’il existe plusieurs formes de musique concertante, les plus connues restent aujourd’hui le concerto grosso et le concerto de soliste.
Dans le concerto grosso, un petit ensemble de musiciens – souvent au nombre de trois – joue face à un grand orchestre. Dans le cas du concerto de soliste, un seul instrument dialogue avec l’orchestre. On dit de lui qu’il est l’instrument soliste. Dans Les Quatre Saisons, cette partie est assurée par le violon.
Contrairement au concerto grosso, dont les utilisations postérieures à l’époque baroque sont rares, le concerto de soliste jouit d’une importante longévité dans l’histoire de la musique classique. Né dans la seconde moitié du XVIIe siècle, il atteint son apogée sous la plume des compositeurs classiques et romantiques, parmi lesquels Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Robert Schumann, Niccolò Paganini, Franz Liszt ou encore Frédéric Chopin, qui permettent aux musiciens solistes le déploiement de leurs capacités virtuoses, notamment à travers l’intégration de cadences*. Toujours plus techniques et expressives, les parties solistes font de leurs interprètes de véritables célébrités, au même titre que les chanteurs d’opéra.
Comme pour la musique symphonique ou la musique de chambre*, le concerto est traditionnellement composé de plusieurs mouvements (trois ou quatre, le plus souvent).
La relecture de Max Richter
En 2011, la célèbre maison de disques Deutsche Grammophon commande au compositeur de musique minimaliste* Max Richter la réécriture d’une œuvre du répertoire classique, dans le cadre de la série de disques Recomposed initiée par le label. Le choix du compositeur s’oriente naturellement vers le chef-d’œuvre d’Antonio Vivaldi :
« Enfant, j’étais tombé amoureux des Quatre Saisons. Mais avec les années, et à force de l’entendre dans les centres commerciaux, les jingles de publicités, les lignes d’attente téléphoniques, je n’étais plus en mesure de l’entendre comme de la musique. C’était devenu une source d’irritation – à mon grand regret ! J’ai donc commencé à chercher une nouvelle façon de révéler cette incroyable matière musicale, en la remaniant – un peu à la manière des scribes qui clarifiaient les manuscrits – comme pour la redécouvrir à titre personnel. »
(« How I wrote… Vivaldi’s Four Seasons Recomposed – Max Richter », interview parue sur classicfm.com le 01/10/2014 ; traduction de la rédactrice)
Achevé à l’hiver 2011, le travail de Max Richter prend la forme d’une œuvre pour formation orchestrale baroque (cordes et clavecin), synthétiseur* et sons électroniques ; à mi-chemin entre esthétique du passé et modernité. Cette démarche de réappropriation des musiques anciennes s’inscrit dans la lignée du néo-classicisme*.
Après un premier enregistrement sorti en 2012, le disque est réédité à l’international dans une version augmentée de cinq nouvelles pièces intitulées « Shadows » et de quatre remixes. Lauréat du prestigieux prix allemand ECHO Klassik, l’album réunit le violoniste britannique Daniel Hope, le claveciniste allemand Raphael Alpermann et le Konzerthaus Kammerorchester de Berlin placé sous la direction d’André de Ridder.
Cette version de l’album parue en 2014 est au programme du Bac Musique 2019.
Plan de l’œuvre
Vous trouverez en gras les parties de l’œuvre étudiées dans le cadre du Baccalauréat.
1. Spring 0 - Introduction
2. Spring 1
3. Spring 2
4. Spring 3
5. Summer 1
6. Summer 2
7. Summer 3
8. Autumn 1
9. Autumn 2
10. Autumn 3
11. Winter 1
12. Winter 2
13. Winter 3
14. Shadow 1
15. Shadow 2
16. Shadow 3
17. Shadow 4
18. Shadow 5
19. Spring 1 (remixed by Max Richter)
20. Summer 3 (Fear of Tigers remix)
21. Autumn 3 (Fear of Tigers remix)
22. Winter 3 (NYPC – New Young Pony Club – remix)
Spring 1 (2'32)
Voici le Printemps,
Que les oiseaux saluent d’un chant joyeux.
Et les fontaines, au souffle des zéphyrs,
Jaillissent en un doux murmure.
Le disque de Max Richter s’ouvre sur une courte piste d’introduction baptisée « Spring 0 », au cours de laquelle les instruments de l’orchestre exposent ensemble les sept sons de la gamme de mi majeur (mi, fa#, sol#, la, si, do# et ré#) – la tonalité principale du premier concerto. Parmi ces notes, un « la » plus grave retentit, donnant l’impression que l’orchestre est en train de s’accorder.
Sur « Spring 1 », ce développement en crescendo* laisse place à des éléments issus du premier mouvement du Printemps de Vivaldi, interprétés par trois violons (le soliste et les deux accompagnateurs) : des noires trillées*, des croches jouées staccato*, des gammes de double croches, et des traits furtifs de triples croches… C’est « le chant joyeux » des oiseaux, dont parle le sonnet, qui est ici représenté ! Il correspond au passage situé à la 15ème mesure de la partition originale.
A cette évocation printanière, Max Richter ajoute des nappes d’accords joués en boucle au synthétiseur. L’utilisation d’un tel enchaînement d’accords très simple, à la sonorité suave et englobante, n’est pas sans rappeler son célèbre On the Nature of Daylight (2004).
A la fin du morceau, la tension engendrée par la répétition des motifs musicaux aboutit à un nouveau crescendo, suivi d’un silence soudain.
Summer 3 (5'01)
Ah, ses craintes n’étaient que trop vraies,
Le ciel tonne et fulmine et la grêle
Coupe les têtes des épis et des tiges.
Dans « Spring 3 », Max Richter s’attaque au passage le plus connu des Quatre Saisons, et aussi peut-être de toute la musique baroque : le troisième mouvement du concerto L’Eté. Son aspect le plus marquant repose sur les arpèges et les gammes jouées de manière rapide et virtuose par les trois violons.
De la même manière que dans « Spring 1 », Max Richer modifie la ligne de basse et les harmonies de Vivaldi qu’il rend plus simples. La première partie du morceau suit par exemple cette suite d’accords familière des musiques de variété : I – VI – IV – V (1er degré : sol mineur – 6ème degré : mi b majeur – 4ème degré : do mineur – 5ème degré : ré majeur).
Autour de la 3ème minute, le violon soliste s’oppose au bourdonnement des autres instruments avec une mélodie lyrique jouée legato* (voir définition de staccato). La répétition des motifs rythmiques engendre par la suite une tension similaire à celle de « Spring 1 », qui prend fin de manière subite, laissant place au calme des instruments électroniques.
Autumn 2 (3'08)
Chacun délaisse chants et danses :
L’air est léger à plaisir,
Et la saison invite
Au plaisir d’un doux sommeil.
Correspondant au mouvement lent de L’Automne, « Autumn 2 » frappe par sa ressemblance avec le morceau initial, et pour cause ; Max Richter n’y apporte aucune modification du point de vue compositionnel. Seuls les timbres et les sonorités sont altérés par la présence d’instruments électroniques. Pourquoi ce choix ?
Le mouvement de Vivaldi témoigne en réalité d’une grande modernité pour son temps. Son développement harmonique, guidé par les arpèges du clavecin, comprend de nombreuses modulations* et autres enchaînements complexes tels que des accords de septième de dominante n’aboutissant pas à des résolutions traditionnelles. L’accord final du morceau en est un assez bon exemple : long de 15 mesures, cet accord de dominante (la majeur) clôt la pièce, quand celle-ci devrait se résoudre avec un accord de tonique (ré mineur) ; originalité d’autant plus marquante du fait que l’accord ne se résout pas non plus au moment de la transition avec le mouvement suivant, qui débute en fa majeur.
Winter 1 (3'01)
Trembler violemment dans la neige étincelante,
Au souffle rude d’un vent terrible,
Courir, taper des pieds à tout moment
Et, dans l’excessive froidure, claquer des dents.
Autre tube extrait des Quatre Saisons, le premier mouvement du concerto L’Hiver commence par un crescendo mené par les cordes : violoncelles, alti et violons entrent successivement avec des notes répétées en croches détachées sur une ligne descendante, censées illustrer les grelottements et l’inertie hivernale. Les instruments jouent d’ailleurs « sul ponticello », ce qui signifie que l’archet frotte les cordes à l’endroit du chevalet de l’instrument. La sonorité stridente qui en résulte peut évoquer les assauts d’un vent glacial. Aussi, le violon soliste réalise des arpèges en doubles croches qui ressemblent aux bourrasques de neige.
Puis, tous les instruments sont réunis dans un passage célèbre censé figurer le trépignement des passants frigorifiés (à la mesure 22 dans la partition originale). Dans « Winter 1 », ce dernier se trouve tronqué d’un quart de temps tous les deux temps, ce qui a pour effet de créer une irrégularité métrique ; un déséquilibre qui fera tiquer l’oreille experte !
Shadow 3 (3'33)
Troisième pièce de la série « Shadows » composée à l’occasion de la réédition du disque en 2014, « Shadow 3 » donne à entendre différents bruits captés dans la nature : le chant des oiseaux, le bourdonnement des abeilles, le ruissellement de l’eau, une douce brise… De loin nous parvient une musique connue : c’est « Autumn 3 », la reprise électronique du mouvement lent de L’Automne. Puis la nature se tait progressivement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le son du clavecin qui égrène ses arpèges dans le silence.
Ainsi, Max Richter entend moderniser la notion de musique descriptive. Il n’est en effet plus question de mimer les sons de la nature, mais de les faire entendre directement, grâce aux avancées technologiques.
Pour en savoir plus :
Glossaire :
Cadence : dans un opéra ou un concerto, partie improvisée par le soliste virtuose (instrumentiste ou chanteur) pendant que les autres instruments se taisent.
Crescendo : augmentation graduelle de l’intensité du son, soit par une amplification du volume sonore, soit par l’accumulation progressive d’instruments. Elle s’oppose à la notion de decrescendo.
Modulation : changement de tonalité au sein d’un même morceau de musique. La plupart du temps, les modulations s’effectuent entre tons voisins (voir définition).
Mouvement : partie d’une œuvre musicale. Bien souvent écrit en italien ou en allemand, le titre du mouvement renvoie à un caractère d’interprétation ou à un tempo. Quelques exemples : Allegro/Lustig (allègre, gai), Lento/Langsam (lent), Adagio/Ruhig (calme), Presto/Schnell (rapide), Prestissimo/Sehr schnell (très rapide) etc.
Musique à programme : musique instrumentale inspirée d’un texte littéraire. Exemples : la Symphonie fantastique op.14 d’Hector Berlioz, la Nuit Transfigurée op.4 d’Arnold Schoenberg, la Danse macabre op.40 de Camille Saint-Saëns…
Musique baroque : musique composée dans la période dite baroque, que l’on situe symboliquement entre la composition du premier opéra de Claudio Monteverdi Orfeo (ca 1600) et la mort de Jean-Sébastien Bach (1750). Quelques exemples de morceaux de musique baroque : Les Quatre Saisons de Vivaldi, la Sarabande de Haendel (dans la Suite n°4 en Ré mineur), ou encore la Toccata en Ré mineur BWV 565 de Jean-Sébastien Bach.
Musique de chambre : musique composée pour un petit ensemble d’instruments. Chaque instrument y joue une partie différente, par opposition à la musique symphonique (pour orchestre), où les joueurs d’un même instrument suivent la même partition. Quelques exemples de pièces pour musique de chambre : le duo, le trio, le quatuor, le quintette, le sextuor, l’octuor…
Musique minimaliste : autrement appelée « musique répétitive », courant de musique contemporaine né aux Etats-Unis dans les 1960. Elle se caractérise par le retour à une certaine simplicité du langage musical, son aspect répétitif, et une économie de moyens en termes d’harmonie, de rythme et de mélodie. Quelques exemples : Violin Phase de Steve Reich, les Etudes pour piano de Philip Glass, Hallelujah Junction de John Adams…
Néo-classicisme (musique) : mouvement apparu à la fin de la Première Guerre mondiale. Il se caractérise par une référence plus ou moins marquée à la musique ancienne, baroque ou classique, pouvant aller jusqu’à la citation littérale d’œuvres du passé. Exemple : le ballet Pulcinella d’Igor Stravinsky (1919), composé d’après 21 citations d’œuvres du compositeur Giovanni Battista Pergolesi
Sonnet : forme poétique composée de quatorze vers répartis en deux quatrains et deux tercets. Ses origines remontent au 16ème siècle. On le retrouve sous les plumes de Ronsard, Shakespeare ou plus tard Baudelaire.
Staccato : cette indication désigne qu’il faut jouer une phrase musicale de manière « piquée », en détachant les notes. Elle s’oppose au legato qui se réfère à un jeu de notes « lié ».
Synthétiseur : instrument de musique électronique à clavier permettant la synthèse de sons, c’est-à-dire la reproduction artificielle de différents sons (celui d’un autre instrument de musique, par exemple).
Ton voisin : tonalité proche du ton principal d’un morceau en ce que leurs accords partagent un certain nombre de notes.
Trille : ornement musical qui consiste à alterner très rapidement deux notes conjointes (se situant à un ton ou un demi-ton d’intervalle).
Zoé Fernandez, Documentation musicale