Réforme des retraites : à l'Opéra de Paris, la mobilisation continue

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Réforme des retraites : à l'Opéra de Paris, la mobilisation continue

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Les danseurs et les musiciens de l'Opéra de Paris rassemblés à Bastille pour manifester contre la réforme des retraites, le 17 décembre 2019
Les danseurs et les musiciens de l'Opéra de Paris rassemblés à Bastille pour manifester contre la réforme des retraites, le 17 décembre 2019
- Suzanne Gervais

Les danseurs et les musiciens de l’Opéra de Paris, en grève depuis le 5 décembre, étaient de nouveau dans la rue hier après-midi pour manifester contre le projet de réforme des retraites.

Des danseurs en tenue de ville, un tutu passé par-dessus le manteau, des musiciens vêtus de noir, housse d’instrument sur les épaules et pupitres sur le bras : il est quatorze heures ce mardi 17 décembre et près de 350 artistes de l’Opéra de Paris se sont donnés rendez-vous sur le parvis de l’Opéra Bastille. « Opéra de Paris, Opéra de papis », « Retraite à points, retrait des pointes », « La retraite à points, c’est mauvais cygne », etc_. _

Ces slogans étaient dessinés sur de grandes banderoles brandies par les danseurs et les musiciens de l’Orchestre et du Chœur de l’Opéra de Paris, qui bénéficient de l'un des 42 régimes spéciaux de retraite. Régime spécial qu’il défendent depuis le 5 décembre alors que, dans sa réforme, le gouvernement veut le supprimer au profit d'un régime universel. 

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L'Opéra de Paris dispose de ce dispositif spécial depuis 1698 et permet aux danseurs du ballet de partir à la retraire à 42 ans, les chanteurs du Choeur à 50 ans (57 ans à partir de 2029) et 60 ans pour les musiciens de l'orchestre. Une prise en compte de la pénibilité des métiers et de l'exigence notamment demandée par les chorégraphies des grands ballets. En 2017, ce régime concernait 1 900 cotisants pour 1 800 pensionnés. Cette caisse de retraite représentait en 2017, 27 millions d'euros, dont 14 millions financés par l'Etat.

Danser jusqu’à 64 ans

Héloïse Jocqueviel, 23 ans, danse au sein du corps de ballet et témoigne de l'inquiétude de la jeune génération : « J’ai commencé ma formation de danseuse à l’école de danse de l’Opéra de Paris à 8 ans. Cela veut dire que j’ai quitté ma famille et que j’ai fait du sport de haut niveau minimum cinq heures par jour. Cette formation dure neuf ans. A partir de dix-sept ans j’étais été catapultée dans un milieu professionnel où je danse de 9h à 23h, tous les jours. » Un rythme qu’elle a accepté, en pensant qu’elle pourrait s’arrêter plus tôt. « A 42 ans je devais toucher non pas une retraite mais une pension qui était censée m’aider à rebondir dans la vie ou maintenir mon niveau de vie et là, en fait, on m’annonce que ça ne sera probablement pas le cas ». 

Pour Alexandre Carniato, qui danse à l’Opéra depuis vingt ans, la fin du régime spécial mettrait le ballet en péril. « Beaucoup de danseurs partiront et ce régime est un moyen d’attirer d’excellents artistes. Pourquoi resteraient-ils à Paris alors qu’ils peuvent être bien mieux payés à l’étranger ? Le niveau chutera et si c’est moins bon, le public viendra moins.  Il y aura immanquablement des pertes de spectateurs. Donc moins de spectacles, moins d’argent qui rentre dans les caisses d’une machine qui marche très, très bien avec un taux de remplissage de 92%, c’est énorme », explique-t-il_._

Danser jusqu’à 64 ans ? Pour Héloïse et ses collègues, ce n’est pas pensable : « A 17 ans, beaucoup d’entre nous ont déjà des blessures chroniques. Vingt ans de carrière à l’Opéra c’est de l’arthrose précoce, des fractures liées à la fatigue, etc. Il y a des cas de hanches en titane dès la trentaine. »

Les musiciens inquiets

Mais l’angoisse est aussi présente chez les musiciens, nombreux à manifester aux côtés des danseurs. Jean-Yves Sebillotte est percussionniste dans l’Orchestre de l’Opéra depuis presque vingt ans. Le régime spécial dont bénéficient les titulaires de l’Orchestre leur permet de partir à la retraite à 62 ans, avec une pension calculée sur les trois dernières années d’exercice, les mieux rémunérées. 

Pour les musiciens comme pour les danseurs, partir à la retraite à des âges plus avancés n’est pas souhaitable. « On nous demande un niveau d’exigence qu’on cherche sans arrêt à perfectionner, explique Jean-Yves Sebillotte. On ne peut pas décemment continuer notre métier très longtemps. La concentration, la résistance, physique, la récupération diminue avec l’âge. On ne peut pas garder le rythme qu’on nous demande de tenir. Il faut défendre nos métiers et nos spécificités. »

D’autres corps de métier de l’Opéra, plus discrets sont également descendus défendre leur régime spécial, comme Sabine, 49 ans, habilleuse, qui insiste, elle aussi, sur « les horaires décalés, l’absence de week-end, la pression énorme, et la quasi dévotion à tous ces métiers de la scène. » 

Et sous des dizaines de banderoles, cornistes, trompettistes, trombonistes et percussionnistes de l’Orchestre de l'Opéra ont posé leurs pupitres sur le bitume et ont joué plusieurs morceaux, sous les applaudissements des autres manifestants. Les musiciens du Chœur de l’Opéra a quant à lui entonné le célèbre Va’ Pensiero de Verdi, air décidément emblématique du combat des artistes pour la culture_. « Il ne faut pas croire que les artistes n’ont pas de parole politique,_ explique Alexandre Carniato_. Nous devons nous faire entendre dans le débat public. »_

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