Rencontre avec les petits nouveaux de la Folle Journée : Nathanaël Gouin et Marie-Ange Nguci

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Rencontre avec les petits nouveaux de la Folle Journée : Nathanaël Gouin et Marie-Ange Nguci

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Nathanaël Gouin et Marie-Ange Nguci
Nathanaël Gouin et Marie-Ange Nguci
© Radio France - Aliette de Laleu

Ce sont les petits nouveaux de la Folle Journée de Nantes. Les pianistes Marie-Ange Nguci et Nathanaël Gouin partagent leur vision de la vie de jeune artiste, l'importance des enregistrements et des festivals, d'être conformes ou non à certaines règles imposées dans le milieu.

Les deux pianistes jouent pour la première fois à la Folle Journée de Nantes. Marie-Ange Nguci et Nathanaël Gouin se sont déjà croisés et se retrouvent pour une interview sur le parcours de jeune artiste classique. Les passages obligés, les choix de vie, le voyage (thème du festival nantais), et l'ambiance particulière de ce festival, lieu incontournable du paysage musical français.

  • France Musique : Que représente pour vous la Folle Journée de Nantes ?

Marie-Ange Nguci : La Folle Journée est l’un des plus hauts lieux de la musique classique, foisonnant, vivant. C’est un festival placé sous le signe de la bienveillance, de l’échange, du partage, réputé pour son public varié et spontané. On retrouve aussi des moments privilégiés entre musiciens qui viennent de milieux différents. Je suis arrivée il y a 2 jours et ça fait un effet particulier, c’est assez impressionnant. J’ai ressenti une immense bienveillance, sans esprit marathonien. On prend le temps de parler, d’échanger, de faire connaissance, de se rassurer. Il y a une ouverture d’esprit immense.

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Nathanaël Gouin : C’est un lieu où les générations se brassent. La curiosité du public m’impressionne. Les festivaliers viennent toujours pour découvrir quelque chose qu’ils ne connaissent pas, ou parce qu’ils sont attachés à un artiste… On ressent dans l’ambiance que les codes du concert sont déstructurés. La durée, par exemple : 40 minutes environ. A notre époque ce timing est intéressant, on doit choisir des programmes concis et je sens que le public écoute de manière très attentive, même ça n'est pas la musique à laquelle il s’attendait. Il y a une sorte de folie pour eux, et pour nous un foisonnement qui met tout le monde dans un état de transe et de curiosité.

Marie-Ange : C’est vrai que ce format de 40 minutes apporte quelque chose de différent. On décloisonne et déconstruit l'aspect 'sacré' de la scène.

  • Comment définir un programme de 40 minutes ?

Nathanaël : J’ai essayé de commencer avec une œuvre qui attire le public, et d'enchaîner avec une autre avec laquelle j’ai la quasi certitude que les festivaliers ne l’entendent pas souvent. Une pièce qui aimante le public et une autre qui soit une découverte. La Folle Journée est le lieu privilégié pour ça.

  • Cette année la Folle Journée tourne autour de la thématique du voyage, de l’exil. Est-ce qu’un artiste aujourd’hui peut faire l’impasse sur le voyage ?

Nathanaël : C’est une histoire de choix. Certaines carrières se font à travers la planète, d’autres artistes sont connus pour détester l’avion. Mais je pense que simplement pour la curiosité, et parce que la musique est belle à partager, il ne faut jamais se priver de voyager.

Marie-Ange : C’est important de voyager et de se confronter aux autres cultures, même en France où les visions sont différentes suivant les régions. Plus on voyage, plus on s'enrichit. Dans notre métier, voyager peut nous permettre d’avoir des perspectives différentes. Par exemple je suis arrivée en France il y a 7 ans. C’était une forme d’exil, car je suis née en Albanie, en pleine année où le pays vivait une quasi guerre civile. Pouvoir sortir de là et arriver dans un pays européen c’était aussi bien un rêve qu'un besoin.

Nathanaël : Je suis allé aux États-Unis et en Allemagne qui est une terre musicale fertile, pas seulement à travers son histoire. En Allemagne il y a une diversité des concerts et une éducation des publics qui fait de ce pays un lieu incontournable pour les artistes. J’avais une envie : ne pas rester franco-français.

  • Est-ce que vous sentez dans votre vie de jeune artiste qu’il y a comme des passages obligés ?

Marie-Ange : Chacun se forme au gré de ses rencontres. Il y a une grosse part de hasard, de destin. Et deux parcours identiques, ça n’existe pas. On avance en fonction de sa personnalité. L’histoire de chaque artiste est unique.

Nathanaël : Il y a des noms et endroits que l’on nous désigne comme des passages obligés sans trop savoir pourquoi (même si on peut le deviner). Il faut juste savoir si l’on veut faire les choses de manière conforme ou pas. Tout dépend des personnalités de chacun. On peut vouloir épouser un certain dogme ou plutôt briser les codes et faire son chemin de manière plus solitaire.

  • Ce serait quoi un artiste classique anti-conformiste ?

Nathanaël : Personnellement, j’ai fait le choix d’arrêter les concours. Je ne veux pas taper sur les concours, mais, même si j’ai mis un moment à le comprendre, ce système ne me correspond pas. Parfois j’ai tenu cette décision, puis changé d’avis, le parcours a été sinueux car les concours dans ce milieu sont omniprésents. On nous dit toujours que la sélection est incontournable, mais elle l’est de toute façon car le public choisit.

Marie-Ange : Je retiens une phrase d’un professeur : Chacun mène la carrière dont il a envie et qui est à son image. Il faut être cohérent avec soi-même, respecter sa personnalité tout en restant très ouvert. La musique est un art de l’instant. Dans ce métier on est à la fois l’artisan et le juge.

Nathanaël : Il faut être à la fois ultra convaincu par ce qu’on fait et garder un doute, du recul. En art, avoir trop de certitudes est dangereux, mais trop de doute peut aussi nous perdre.

  • Nous n'avons pas parlé de l’importance, ou non, des enregistrements quand on est jeune artiste..

Nathanaël : C’est aussi un passage obligé...

Marie-Ange : Ce sont des épreuves complexes. Pour son rapport à soi, aux œuvres. On va tellement loin dans la connaissance d’une partie du répertoire qu’on finit par avoir une exigence impossible à satisfaire. Ce sont des moments forts, intenses. On apprend à se découvrir. C’est un apprentissage, jusqu’à la gestion de la sortie du disque et de l’après. Un disque c’est comme une photo de nous à un moment particulier. Pour ne pas tout confondre il faut arriver à décontextualiser l’artiste de l’enregistrement.

  • Quelle est la spécificité du milieu classique par rapport au disque ?

Nathanaël : L’enregistrement d’un disque arrive de plus en plus tôt. Jean-Claude Pennetier [ndlr : pianiste] me disait qu’à son époque, enregistrer un album arrivait quand on avait une trentaine d’année et qu’on avait roulé sa bosse avec les concerts. C’était comme l’accomplissement d’un parcours. Aujourd’hui c’est un peu devenu une carte de visite, presque urgente à faire.

Marie-Ange : C’est vrai que c’est comme une carte d’identité qu’on doit présenter. Il faut juste ne pas faire d’amalgame entre une personnalité d’artiste et un disque qui sont deux choses différentes.

Nathanaël : Le disque est un dédoublement. Par exemple j'ai matérialisé le mien avec une couverture un peu provocatrice sur mon premier disque Liszt. On dirait un peu une affiche de Dexter Morgan [ndlr : tueur en série de fiction], avec un côté diabolique. C’était une manière de me protéger. On attendait quelque chose d’officiel donc j’ai choisi le second degré. Manier l’humour est une manière de se distancer.

Propos recueillis par Aliette de Laleu et Nathalie Moller