Réouverture sans fanfare pour les magasins d’instruments de musique
Par Marie GicquelAprès plus d’un an de fermeture partielle, les magasins d’instruments de musique rouvrent à la vente ce mercredi 19 mai. Le soulagement est partiel pour ce secteur un peu oublié de l’industrie musicale.
Quel Français n’a pas ressorti un vieil instrument de son placard pendant cette année confinée ? La pratique musicale a en effet augmenté en 2020 selon un rapport du ministère de la culture. Une bénédiction pour les commerces d’instruments… qui ressortent malgré tout de cette fermeture, très fragilisés. « On voit la différence selon les instruments. Pour la guitare on n’a pas perdu de chiffres, c’est un instrument qui peut se passer de cours. On a même eu un regain de ventes des tablatures », annonce André Cotelle, le gérant du magasin Arpèges. Ce trompettiste qui n’a jamais lâché son magasin, « même si le rideau était baissé » admet toutefois que « tous les instruments symphoniques » ont pris la poussière… « On ne joue pas d’instinct du hautbois ! »
Chute de la location d'instruments
Faute de cours au conservatoire – peu propices en visio – la location de ces instruments a aussi dégringolé. André Cotelle estime que la location d’instruments de musique à des professionnels a chuté de 80%, et de 40% pour les étudiants en conservatoire. « Le confinement a aussi éloigné certains jeunes de la musique. Donc pour nous, l’addition est salée. » Le gérant s’inquiète des répercussions à la rentrée sur la perte du nombre d’élèves dans les écoles de musique. Des futurs clients perdus « à tout jamais ». Malgré sa plateforme de vente en ligne, ZicPlace, il reçoit aussi entre ses murs à Montreuil, et constate lui aussi que les musiciens professionnels ont disparu.
En mars, pour le troisième confinement, la Chambre Syndicale de la Facture Instrumentale (CSFI) demandait à la ministre de la Culture le classement des commerces d’instruments de musique et des ateliers de lutherie dans la liste des « commerces essentiels ».
Corde remplacée... mais pas vendue
Dès lors, ces commerces sont autorisés à réparer les instruments, mais pas à les vendre. La rigidité défrise André Cotelle « Si on pousse le vice : quelqu’un qui est en panne avec sa guitare, je lui change la corde, j’ai le droit de le faire, par contre je n’ai pas le droit de lui vendre une corde. » Chez ZicPlace, la réparation des instruments s’est bien maintenue. « On a profité du fait que tout le monde se souvienne de son instrument oublié ».
Malgré la « fleur » accordée à la réparation, il a fallu faire face au confinement dans un rayon de 10 kilomètres, ce qui a aussi ralenti l’activité de Laurent Jarry, le gérant d’un magasin spécialisé en vente d’accordéons « J’ai des clients dans toute la France, parfois même de l’étranger… ».
Les violons en quarantaine
La réouverture mercredi s’accordera avec la mise en place de mesures sanitaires – beaucoup de désinfectants et de gel hydroalcoolique -… parfois incompatibles avec une telle manufacture. « Le violon, on ne peut pas le passer sous l’eau ! » s’amuse André Cotelle. L’instrument sera donc placé en quarantaine après essayage… Même constat à La boite d’accordéon, le magasin de Laurent Jarry : certaines pièces en bois massif ne supporteraient pas ces séances de désinfection « Je proposerai aux clients de mettre des gants en latex pour les manipuler ».
La pandémie aurait-elle aussi un impact sur le choix de l’instrument ? « Il y a des instruments Covid-friendly et d’autres non… Les instruments à vent sont plus boudés », confie Alexis Le Clerc de chez ZicPlace, « On demandera à ce que les clients viennent avec leur bec et embouchure ».
La menace du « Amazon » des commerces d’instruments de musique
Un autre défi attend ces commerces indépendants : la concurrence des géants de vente en ligne d’instruments et d’accessoires de musique, Woodbrass en France et Thomann en Europe. « I_ls ont énormément profité du confinement. Ils avaient des stocks. Nous, on a eu des gros problèmes d’approvisionnement avec les usines asiatiques à l’arrêt qui produisent la majorité des composants, des processeurs pour les instruments numériques. Ces retards sont aussi une perte pour nous…_ », explique Alexis Le Clerc de chez ZicPlace.
L’heure des comptes a sonné au magasin Arpèges à Paris, André Cotelle a fait une demande d’aide, sans réponse. Pour se refaire une santé économique, le gérant optimiste veut « rebondir » et miser sur l’édition de nouvelles partitions. Quant à ZicPlace, il compte maintenir le succès de la vente des « home-studio », des instruments numériques ou dits « MAO » pour Musique Assistée par Ordinateur. Enfin, les instruments reprendront également le chemin des conservatoires ce mercredi et celui des concerts, en jauge limitée… L’espoir d’un retour du client, masqué et ganté !