Sarah Aristidou, révélation des Victoires de la musique classique 2022
Par Côme Jocteur-MonrozierRencontre avec Sarah Aristidou, nommée dans la catégorie “Artiste lyrique” des Victoires de la musique classique 2022.
Sarah Aristidou est une soprano nommée dans la catégorie “Artiste lyrique” des Victoires de la musique classique 2022. Franco-chypriote, elle commence par chanter à la Maîtrise de Radio France, avant de faire ses études en Allemagne et d'intégrer l’opéra studio de la Staatsoper de Berlin. Nous l'avons rencontrée lors des répétitions au Studio 104 de la Maison de la Radio et de la Musique, vendredi 14 janvier.
Comment avez-vous découvert votre voix ?
J’ai commencé par chanter des chants folkloriques chypriotes quand j’étais toute petite, c’est la tante de mon père qui me les a tous appris, je devais avoir trois ou quatre ans. Après j’ai eu un disque de Maria Callas quand j’avais cinq ans et je me suis dit que je voulais absolument faire ce qu’elle faisait. Et j’ai commencé le conservatoire à ce moment-là, je savais déjà que je voulais chanter.
J’ai d’abord commencé par la flûte à bec avec comme rêve de faire en suite de la flûte baroque mais je suis entrée à la Maîtrise de Radio France où j’ai appris aussi le piano.
Qu’est-ce que ça vous fait de revenir à la Maison de la Radio ?
C’est très bizarre d’être ici, tout à l’heure, en passant par le hall, j'avais des images qui me revenaient en tête. De très bons souvenirs et des moins bons, car c’est un parcours qui était très difficile. D’un autre côté c’est la formation qui m’a donné quasiment tout mon bagage musical classique, avec mon premier professeur de chant qui m’a énormément aidé et fait découvrir de nombreux chanteurs. Le solfège, la musique, les concerts, c’était magnifique. Rien n’importait à partir du moment où j’étais sur scène, j’oubliais tout le reste. Mais je dis juste : 60 filles et 5 garçons quand on est adolescent, c’est un peu dur, avec la puberté en plus… Humainement un peu difficile, musicalement un rêve.
Qu’est-ce qui vous a décidé à en faire votre métier ?
Depuis que j’avais cinq ans, je voulais être chanteuse d’opéra. Entre-temps, j’ai voulu être astronaute ou brodeuse de perles pour les designers mais c’était très clair. Et j’ai voulu très tôt être soliste, pas tellement pour chanter toute seule mais parce que je n’aime pas m’adapter, suivre les règles et me conformer. Et dans un chœur, il faut adapter son son, se mettre en retrait ou donner plus, et moi, j’ai toujours voulu être libre.
Juste après la maîtrise de Radio France, j’ai continué le chant en cours particuliers avant de rentrer à l’Université à Berlin, puis j’ai fait mon Master à la Hochschule de Munich. En 2016, j’ai commencé à gagner ma vie en chantant Eurydice dans Orphée aux Enfers à l’Opéra d’Angers-Nantes, j’étais encore étudiante et j’avais très peur. Après j’ai été prise à l’Opéra Studio de la Staatsoper de Berlin, ça s’est fait très vite, et là on avait une bourse, on travaillait.
Comment travaillez-vous votre voix ?
En ce moment, c’est particulier : j’ai vendu toutes mes affaires cet été et j’ai déménagé au milieu de la nature avec mes deux valises. J’ai arrêté de chanter pendant un mois et demi parce que j’avais besoin de silence et de remettre les choses en place. Il faut dire que mon dernier concert était à Dijon en Septembre, sinon tout a été annulé.
J’essaie de faire des exercices tous les jours, du Yoga, de la méditation. Je ne chante pas énormément. Par exemple, je travaille rarement mes aigus toute seule parce qu’en général je m’écoute trop et je veux que ce soit parfait, ce qui ne marche pas toujours. Et j’ai toujours une professeure, rencontrée à l’Opéra Studio de Berlin, car c’est important d’avoir un oreille extérieure, parce que parfois ce qui peut sonner très beau à nos oreilles ne rend rien à l’extérieur ou alors on ne l’entend pas.
Vous avez un rêve comme musicienne ?
J’en ai plein. Par exemple, j’aimerais pouvoir toujours choisir avec qui travailler. Il y a aussi plusieurs rôles d’opéra qui m’attirent, notamment Lulu ou Marie dans Les soldats de Zimmermann, et peut-être, un jour, Lucia di Lammermoor. J’ai aussi un projet d’enregistrer dans la nature : par exemple dans une grotte de glace en Islande. J’ai énormément appris, en tant que chanteuse, de la nature, et, ces derniers mois, ce contact avec la nature m’a permis de me rapprocher de moi. Il y a du bruit mais c’est silencieux, je sais pas comment expliquer et ça centre, ça calme et ça fait aller au-delà de ses limites aussi.
Qu'est ce que ça changerait pour vous d'obtenir cette Victoire de la musique ?
Au niveau personnel, être nominée c’est déjà quelque chose de beau, ça reste un parcours difficile pour nous tous, et, même si on ne fait pas ça pour les récompenses, c’est un encouragement à continuer dans cette voie. J’ai toujours suivi mon instinct et le fait d’en être arrivée là, aujourd’hui, ça me montre que j’avais raison de croire en mes rêves et de ne laisser personne dire qu’ils étaient infaisables. En général on dit que mes idées ne sont pas possibles mais finalement j’arrive à convaincre les gens !
Est-ce que vous chantez toujours de la musique chypriote ?
Cette année, j’ai été invitée à l’émission “hope at home” sur Arte, et on a fait des chants chypriotes. C’était vraiment beau de transmettre mon héritage. Là, je viens de sortir un EP, deux chants chypriotes remixés par des DJs électros, c’est un peu psychédélique mais c’est quelque chose qui me fait vibrer aussi. J’aimerais beaucoup travailler avec différents arts, différents artistes. Ma première prof de chant m’avait montré très vite Cathy Berberian, une chanteuse incroyable et qui va justement au-delà des étiquettes et des limites.
Aussi ma voix, quand je chante cette musique que j’ai apprise toute petite, c’est une voix que personne n’a touchée ni tenté de formater. Quand je chante cette musique, je ne fais que chanter, je ne pense à rien, ça enlève tout. Alors que la musique classique, c’est la technique, le travail, tout ce à quoi on doit penser pendant qu’on chante et que les gens ne voient pas. Ce rapport à ma voix, je tente de l’incorporer de plus en plus dans mon travail, dans mes enregistrements, c’est quelque chose que je veux plus dissocier de moi. Je pense que chaque musique peut profiter l’une de l’autre.
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