Scott Ross, claveciniste rebelle et légendaire

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Scott Ross, claveciniste rebelle et légendaire

Par
Scott Ross
Scott Ross
© Getty - Jacques Sarrat

Musicien atypique aux multiples facettes, claveciniste érudit à l'allure de rockeur, homme de nature imprévisible et en éternelle quête de reconnaissance, Scott Stonebreaker Ross a révolutionné le monde du clavecin.

Nonchalant et insouciant - son style de beatnik à lunettes rappelant John Lennon - souvent, il arrivait sur scène, contemplait patiemment son public et hochait la tête, avant de s'asseoir au clavecin... On pouvait à juste titre être surpris de voir ce personnage arriver sur scène et jouer les œuvres de Couperin, Rameau, Scarlatti, ou Bach, avec une telle précision, délicatesse, et élégance, des qualités qui ont fait de lui l'un des plus grands claveciniste de sa génération... Mais qui était cet homme improbable, dont la présence et l'influence sont omniprésentes encore aujourd'hui ?

Né à Pittsburgh en 1951, Scott Stonebreaker Ross arrive en France à l'âge de treize ans avec sa mère. Orphelin à 17 ans, il tracera fièrement et éternellement sa propre voie. Malgré son image de non-conformiste - ou peut-être précisément à cause de cette image - il devient au cours de sa vie le prince héritier du clavecin. Ostensiblement confiant, bien qu'à la recherche d'une reconnaissance éternelle, il se forge lors de sa courte carrière  la réputation d'un musicien intrépide qui ose affronter les plus grands défis et bouleverser les traditions.

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Cherchez l'intrus

Un look décontracté et un esprit rebelle novateur, grand admirateur de la musique de Brian Eno et de Nina Hagen, Scott Ross fuit toute association avec les interprètes baroqueux stéréotypés en chemise et cravate. Le “bad-boy” à la veste en cuir devient l'iconoclaste du clavecin : son image attire progressivement un nouveau public au concert, public qui n'aurait peut-être jamais auparavant exprimé quelconque intérêt pour cet instrument. 

Au delà de son apparence, Scott Ross déroute également son public par son détachement et ses poses désinvoltes sur les pochettes de ses albums (ex : son enregistrement des œuvres d'Antonio Soler). Il admet même en entretien qu'avant de monter sur scène il se demande souvent s'il ne serait pas plus heureux dans un bureau en train de taper des lettres. Quand on lui demande pourquoi, finalement, il continue à jouer, il répond tout simplement : « Parce que je sais le faire ».

Pochette de l'enregistrement par Scott Ross du Fandango et des 9 sonates d'Antonio Soler (1997)
Pochette de l'enregistrement par Scott Ross du Fandango et des 9 sonates d'Antonio Soler (1997)

Un métier comme un autre, et pourtant…

Et quand on lui demande s'il ressent une émotion lors d'un concert, Scott Ross répond de manière honnête et brutale : « Pas du tout [...] J'exerce mon métier et je suis préoccupé par les réactions du public ». Il était d'avis qu'on ne vient pas pour voir les larmes de l'artiste mais plutôt admirer une œuvre qui en arrache, une idée à l'origine du philosophe et critique d'art Denis Diderot. « Plus tu veux que ça sonne libre, plus il te faudra calculer comment tu vas te débrouiller pour que ça sonne libre », disait Scott Ross à ses étudiants lors de ses douze années d'enseignement à l'université Laval de Québec (1971-1983).

Derrière cette image de rebelle boudeur se cachait en réalité un perfectionniste timide et modeste. Il passait des soirées et nuits entières à répéter et se perfectionner. Scott Ross admet lui-même que cette image fut construite volontairement afin de déstabiliser et choquer les publics « bourgeois » .

Il était si perfectionniste qu'il fut critiqué par ses étudiants qui le jugeaient de la vieille école, reprochant leurs approches musicales trop libérales : « Essayez de jouer comme le maître et si vous y arrivez... Ce ne sera déjà pas trop mal... ». Un rebelle qui s'en tient aux règles, quelle ironie...

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L'authenticité, mais en modération

Bien que Scott Ross prônait une approche intelligente et rigoureuse de la musique, il rejette néanmoins l'authenticité musicologique, car « on ne sait jamais où s'arrêter ». Comme a dit le claveciniste Gustave Leonhardt, on ne peut pas être à la fois authentique et convaincant. Mais cette approche ouverte d'esprit n’empêche pas Scott Ross de critiquer les jeux musicaux de ses contemporains, notamment Horowitz, Landowska, Maria Tipo, et même Gould ( « il n'a rien compris à Bach »).

On ne peut tout de même pas se contenter de dire : « Je n'aime pas le clavecin » ou « il n'a pas assez de possibilités ». C'est idiot ! Ce qu'il faut retrouver, c'est le processus créatif de Bach, et cela seul le clavecin le permet.

Selon Scott Ross, l’authenticité absolue était impossible, mais connaitre et comprendre l’instrument pour lequel écrivait un compositeur était non seulement possible, mais d’une importante primordiale
Selon Scott Ross, l’authenticité absolue était impossible, mais connaitre et comprendre l’instrument pour lequel écrivait un compositeur était non seulement possible, mais d’une importante primordiale
© Getty - Jacques SARRAT

Claveciniste mal-tempéré

Le look de rebelle fut peut-être une façade construite, mais l'attitude était certainement authentique. Un jour qu'il était introuvable quelques minutes  avant un concert, Scott Ross arrive finalement en retard par l'entrée du public, monte sur scène et se met après plusieurs minutes au clavecin, un geste délibérément impertinent cherchant une réaction chez son public.

En 1985 au Festival d'Aix en Provence, il reste assis devant son clavecin les bras croisés tant qu'un vrai tabouret de pianiste n'est pas trouvé pour remplacer la petite chaise en bois mise à sa disposition. Pourquoi serait-il obligé de se contenter d'une chaise pour la simple et bonne raison que son instrument est un clavecin ? Capricieux? Possible, mais Scott Ross se battra toute sa vie pour la reconnaissance de son instrument, qu'il estime méritée.

Pourquoi devrait-il se contenter de moins pour la simple et bonne raison qu’il joue du clavecin? Scott Ross consacrera sa vie à se faire respecter…
Pourquoi devrait-il se contenter de moins pour la simple et bonne raison qu’il joue du clavecin? Scott Ross consacrera sa vie à se faire respecter…
© Getty - Jacques SARRAT

Scott Ross, à la rescousse…

Parmi les premiers à se consacrer pleinement et exclusivement au clavecin, Scott Ross devient son plus grand défenseur. La pire des idées reçues à ses yeux est celle que les pianistes ratés se font clavecinistes. Il cherche sans cesse à protéger un instrument subtile et vivant, souvent mal représenté dans un monde où « on est assailli par les sirènes des voitures de police et par les violonistes qui scient leur instrument en deux [...] il est sûr que cette subtilité est plus anachronique que jamais ».

Pire encore, ces compositeurs qui écrivent pour l'instrument baroque sans être pour autant capable de distinguer entre un clavecin et un « moteur diesel » disait Scott Ross. Contraint d'interpréter les œuvres (d'une qualité parfois douteuse) de compositeurs lors de ses études aux conservatoires de Nice et de Paris, il se rend compte de l'état attristant du clavecin au XXe siècle notamment aux yeux des compositeurs et interprètes de musique contemporaine. Il déplore le fait que les clavecinistes contemporains soient obligés d'être également pédagogues ou musicologues afin de gagner leurs vies : « Je me mets à part, car j'ai beaucoup de concerts et peu de besoin d'argent ».

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Un homme aux multiples passions …

Scott Ross est un homme passionné aux goûts simples : « Je ne vis pas que pour la musique », déclare-t-il. Sa maison à Assas ne ressemble pas celle d'un musicien dévoué au baroque; le clavecin souvent fermé est recouvert de passions plus récentes. Éleveur passionné d'orchidées, intéressé uniquement par les croisements les plus étranges et inhabituels, il est également un géologue averti, un curieux de l'informatique mais encore charpentier talentueux, photographe, tricoteur vorace et un amoureux des chats.

C'est sans doute l'origine de mon style, de la « pulsion » que je tente de donner à mon jeu [...] Je pense que le fait de ne pas me consacrer entièrement à l'instrument, de vivre d'autres passions, permet cela. 

Scott Ross appréciant l'air frais d'Assas, chez lui de 1981 jusqu'à sa mort en 1989
Scott Ross appréciant l'air frais d'Assas, chez lui de 1981 jusqu'à sa mort en 1989
© Getty - Jacques SARRAT

Feignant, mais à sa façon 

Certes passionné, la vie de Scott Ross est néanmoins régie par une seule règle : « La loi du moindre effort ». Si l'idée de faire de la musique de chambre lui plait, le seul fait de devoir chercher des partenaires et de répéter régulièrement avec eux lui pose problème. Intrigué un temps par la musique de film et la musique électro-acoustique, il se sent dépassé par les problèmes techniques à maîtriser - l'idée est donc écartée. Même l'envie de jouer du piano demeure une simple idée, puisqu'il est incapable de trouver la motivation pour gagner l'argent pour s'acheter l'instrument, louer un appartement suffisamment grand où le stocker, et encore moins la patience de gérer les plaintes des voisins.

Ma paresse était moins celle d'un fainéant que celle d'un homme indépendant qui n'aime à travailler qu'à son heure.

Scott Ross en train d'enregistrer les 555 sonates Domenico Scarlatti, au studio 107 de Radio France le 4 décembre 1985
Scott Ross en train d'enregistrer les 555 sonates Domenico Scarlatti, au studio 107 de Radio France le 4 décembre 1985
© Radio France - Roger Picard

Effectivement, à son heure Scott Ross produisit une discographie foisonnante, notamment les œuvres complètes pour clavecin de Rameau et Couperin. En 1984, alors qu'il est atteint de complications liées au nouveau virus du SIDA, il relève le plus grand défi de sa carrière : enregistrer les 555 sonates de Domenico Scarlatti, un projet nécessitant 98 séances d'enregistrement, 8000 prises et plus d'un an d'engagement. Espérant maintenir le rythme ambitieux d'enregistrer les œuvres complètes pour clavecin des compositeurs baroques, Scott Ross est interrompu dans sa course en 1989, succombant à sa maladie, entouré de ses orchidées et de ses chats à Assas.