Ça y est, c’est fini. Après 16 ans de beaux et loyaux services, Sir Simon Rattle quitte l’Orchestre philharmonique de Berlin et rejoint Londres et son prestigieux London Symphony Orchestra. Retour sur le parcours de celui qui fut bien plus qu’un directeur musical pour l'institution berlinoise.
C’est l’histoire d’un gamin de Liverpool qui devient l’une des plus grandes figures de la musique classique, d’un jeune percussionniste qui prend la baguette des meilleurs orchestres au monde. Sir Simon Rattle - puisqu’il a été anobli par la reine d’Angleterre en personne - quitte à la fin de cette saison l’Orchestre philharmonique de Berlin, après 16 années de concerts, de disques, de projets... et de lourdes transformations.
Son dernier concert en tant que directeur musical aura lieu le 24 juin prochain, à la Waldbühne, le théâtre de verdure berlinois, avec son épouse, la mezzo-soprano Magdalena Kozena. Un programme symbolique : Fauré (Pavane) et Canteloube (les Chants d’Auvergne) sont les empreintes de son amour pour la musique française, Gershwin (Ouverture cubaine) et Khachaturian (Gayane) celles de son esprit cosmopolite.
Le chef du XXIe siècle
Le 23 juin 1999, la nouvelle tombe : élu par les trois-quarts des musiciens, Simon Rattle prendra la succession de Claudio Abbado au poste de directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Berlin. Parce qu’elle veut devenir « l’orchestre du XXIe siècle », la prestigieuse formation préfère le jeune chef - il a alors 44 ans - au célèbre Daniel Barenboim.
Celui qui a propulsé l’orchestre de Birmingham dans la short list des orchestres les plus acclamés et réclamés a en effet tout pour plaire : l’investissement (il refuse le cumul des orchestres et dirige très peu comme chef invité), l’ouverture d’esprit (sa palette musicale va du XVIIIe au XXIe siècle), le charisme et la modernité.
Dès son arrivée en Allemagne, Simon Rattle tourbillonne. Pour assurer sa pérennité, l’institution devient fondation de droit public et s’assure le soutien financier de la ville de Berlin. Le Britannique retient ses musiciens, attirés par les orchestres américains et leurs salaires attractifs, en augmentant le nombre de productions discographiques.
L’orchestre s’ouvre, devient plus accessible. En 2008, alors que les musiciens viennent de lui renouveler leur confiance pour dix ans, Simon Rattle déclare dans Le Monde de la Musique : « Nous devons sans cesse oeuvrer pour attirer le public, et non plus nous contenter de l’attendre… ». Après avoir créé un service dédié à l’éducation musicale, les actions pédagogiques se multiplient : concerts pour les enfants de 2 à 5 ans, ateliers de jeunes compositeurs, projets dans les écoles, dans les banlieues, le tout est financé par la Deutsche Bank. En 2007, Rattle dirige ainsi un spectaculaire Sacre du Printempsde Stravinsky dansé par 250 jeunes berlinois en plein centre de la capitale.
Pour faire tomber les murs de la salle de concert, l’orchestre se dote également de deux nouveaux outils : un label discographique et une salle de concert virtuelle, le Digital Concert Hall. Deux produits payants, destinés plus particulièrement aux passionnés, mais en adéquation avec leur temps. D’un côté, le label produit de beaux objets d’exception - en excluant souvent les plateformes de streaming - qui résistent mieux à la chute générale des ventes de disques. De l’autre, le Digital Concert Hall, lancé en 2008, permet au Berliner Philharmoniker de se positionner sur le web de manière totalement indépendante.
Baguette magique
« Il n’existe pas d’autre option : préserver la tradition et sauter dans la modernité » (entretien pour L’Express, octobre 2002)
Moderne, le chef l’est aussi dans sa direction musicale. Pour son premier concert, le 6 septembre 2002, il associe Mahler, dont les symphonies sont la moelle épinière de l’orchestre, à Thomas Adès qui n’a alors que 31 ans. Pour la Saint-Sylvestre, il offre au public la comédie musicale Wonderful Town de Bernstein. Dans un entretien pour L’Express, Simon Rattle déclare alors : « Certains aspects du répertoires ont été ainsi négligés (...). Je suis contre les ghettos. Je tiens absolument à mélanger les oeuvres et les compositeurs ». Les dents grincent, certains craignent que le joyau musical perde son identité, mais le chef impose peu à peu sa vision. En 2017, le taux de remplissage de la Philharmonie de Berlin (2 400 places) atteint les 98%.
Pendant 16 ans, Simon Rattle enrichit la palette musicale de la phalange allemande. Ouvert à toutes les musiques, il choisit pour premier chef invité le très baroque William Christie. Le Britannique ne cache pas son amour pour la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, et fait appel aux meilleurs pour le conseiller : « Il n’est pas honteux de prendre conseil auprès de bonnes sources », affirme-t-il en 1999 au journaliste du Monde Renaud Machart. Dans la querelle des instruments modernes et anciens, le chef se place au dessus de la mêlée et ne s’interdit rien.
« Il faudra que le Philharmonique de Berlin rejoue Bach, différemment certes, mais cela doit faire partie de sa mission ! » (entretien pour Le Monde, 30 novembre 1999)
La musique baroque, Simon Rattle ne tardera pas à y plonger ses musiciens tête la première. En 2010, il fait appel à Peter Sellars pour monter La Passion selon Saint Matthieu de Bach avec le choeur de la radio de Berlin, Topi Lehtipuu, Magdalena Kozena, ou encore Camilla Tilling. Le succès est au rendez-vous, et le chef reprend les mêmes quatre ans plus tard avec la Passion selon Saint Jean.
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Sans délaisser les romantiques allemands qui font la réputation de l’orchestre, Simon Rattle met également sa précision et sa clarté au service des compositeurs français. Si les musiciens sont habitués à La Mer et au Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, il le sont moins d’un Pelléas et Mélisande dans son intégralité, ou de L’Enfant et les sortilèges de Ravel, que le Britannique aborde dès 2008. Les soirées françaises se multiplient, comme pour le concert du nouvel an 2015 qui voit la rencontre de Chabrier, Saint-Saëns, Massenet, Poulenc et Ravel.
Chacun des directeurs musicaux de l’Orchestre philharmonique de Berlin a laissé son empreinte sur l’institution, et à plus forte raison les deux prédécesseurs de Sir Simon à ce poste : Claudio Abbado (1989 - 2000) et Herbert von Karajan (1955 - 1989). Parfois critiqué, le liverpuldien a brillé par son ouverture au monde qui, sans conteste, a fait entrer l’orchestre de plain-pied dans le XXIe siècle. Ultime preuve de cette réussite, le choix de son successeur : au (très) traditionnaliste et expert ès musique allemande Christan Thielemann, les musiciens ont préféré le jeune et discret Kirill Petrenko (43 ans au moment de sa nomination).
- A voir : « Une ère de musique : Simon Rattle et les Berliner Philharmoniker » documentaire disponible jusqu’au 9 juillet sur Arte.