Stradivarius, l’homme derrière le violon

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Stradivarius, l’homme derrière le violon

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Stradivarius dans son atelier par Jean-Edouard Hamman, XIXe siècle.
Stradivarius dans son atelier par Jean-Edouard Hamman, XIXe siècle.
- Gallica

Les luthiers demeurent souvent inconnus du grand public. Pourtant, s’il est bien un nom que l’on retient dans ce domaine, c’est celui de Stradivarius. Synonyme d’excellence et de prestige dans la facture instrumentale, il symbolise à lui seul le violon.

Mondialement réputé pour ses violons de facture exceptionnelle, Stradivarius a aussi fabriqué de nombreux autres instruments, tout aussi excellents : violoncelles, altos, guitares, cistres violes, luths…Malgré leur âge avancé – environ 300 ans – ces joyaux existent encore en grand nombre et on en compte plus de 650 répartis sur l’ensemble de la planète.

Il n’est cependant pas donné à tout un chacun de s’offrir un « strad ». Les instruments du célèbre luthier sont en effet tellement prisés, aussi bien par les musiciens que par les collectionneurs, que leur prix peut parfois s’élever à plusieurs millions d’euros !

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Quels secrets de fabrication peuvent bien renfermer les stradivarius ? Et que connait-on de l’homme qui se cache derrière la légende ?

Un portrait incomplet

Acharné de travail, Stradivarius passait ses journées entières dans son atelier et n’avait guère le temps de poser pour les peintres. On n’a donc qu’une idée très vague de ce à quoi il ressemblait. Les portraits qui le représentent, réalisés après sa mort, ne sauraient être un reflet fidèle de la réalité, de même que la description qu’en donne François-Joseph Fétis en 1856, d’après une information de troisième main. Il le dépeint comme un homme grand et maigre coiffé d’un bonnet blanc et portant un tablier de peau blanche également. Il nous faut pourtant nous contenter de ces maigres indices pour nous inventer une image du personnage.

Stradivarius dans son atelier.
Stradivarius dans son atelier.
© Getty

Une enfance mystérieuse

De l’enfance d’Antonio Stradivari – le véritable nom de Stradivarius – on ne sait rien. Sa date de naissance même n’est pas connue. On la situe cependant vers 1644, c’est-à-dire à une période où des milliers de personnes sont en exil après avoir fui la terrible épidémie de peste qui a ravagé l’Italie quelques années plus tôt. Parmi elles se trouvent probablement les parents d’Antonio, ce qui expliquerait qu’on ne trouve nulle trace de son acte de naissance.

Crémone, berceau de la lutherie

On sait seulement que le jeune Antonio finit par rejoindre Crémone – ville natale du violon – avec sa mère et ses deux frères et qu’il se retrouve orphelin à l’âge de dix ans. Bien que l’hypothèse soit couramment admise, aucune preuve ne permet d’affirmer qu’il est alors recueilli par la famille Amati, autre patronyme bien connu de la lutherie.

Des violons « amatisés »

Antonio a-t-il été l’élève de Nicolo Amati (1596-1684), comme il le note lui-même sur l’étiquette de l’un de ses premiers instruments ? Les archives du maître luthier ne le mentionnent nulle part. Toutefois, les instruments de Stradivari conçus entre 1660 et 1680 étant de facture analogue à ceux du maître crémonais, il est permis de le croire.

Au cours de cette période, le jeune luthier atteint un savoir-faire digne des meilleurs artisans et voit sa réputation grandir. Celle-ci peine cependant à dépasser les frontières de Crémone, la figure d’Amati occupant le premier plan.

« Antonius Stradivarius Cremonensis faciebat anno 1666 ». A partir de 1666, Antonio Stradivari signe ses instruments en employant la forme latinisée de son nom, qui finira par désigner aussi bien le créateur que ses créations.

Le début de la gloire

En 1680, Antonio achète une grande et belle maison place San Domenico, dans le quartier des luthiers, afin d’y établir son atelier.

Malgré cette acquisition, il n’est pas encore assez riche à cette époque pour se procurer du bois de la meilleure qualité et se voit obligé de concevoir les dos de ses violons en assemblant deux parties. Ce qui est au départ un inconvénient se révèle être une technique de fabrication des plus intéressantes car elle permet d’obtenir une symétrie parfaite des fibres du bois sur chacune des moitiés et, par conséquent, une meilleure sonorité de l’instrument. Malgré tout, sa renommée reste encore éclipsée par celle d’Amati et ce n’est qu’à la mort de ce dernier, en 1684, que les regards se tournent complètement vers lui. Les plus grands monarques européens lui passent alors commande : le duc de Savoie et roi de Sardaigne en 1685, le duc de Modène en 1686...

Elaboration d’un nouveau modèle

Pendant dix ans, Stradivarius fait évoluer la forme de ses instruments. Il leur donne un aspect plus robuste en même temps qu’une sonorité plus puissante.

A la fin des années 1680, il modifie à nouveau sensiblement son modèle en diminuant l’épaisseur ou encore en travaillant la forme des ouïes, ces grands f qui percent la table de l’instrument et qui déterminent la pression de l’air dans la caisse. Ces recherches aboutissent à un violon légèrement plus long et moins large, qu’on appelle « longuet », à la sonorité exceptionnelle.

Au tournant du siècle, débute ce que l’on qualifie de « période d’or ». Le luthier parvient à une justesse des proportions proche de la perfection qui confère à ses instruments une sonorité à la fois ample, chaude et mélodieuse, bref, idéale.

Epreuves familiales

Si Stradivarius est heureux dans son travail, sa vie familiale se trouve ébranlée par la mort de sa femme, Francesca, qui le plonge dans une profonde dépression. Moins de dix ans plus tard, il perd également sa première fille, Giulia-Maria.

Il parvient néanmoins à surmonter ses peines et se remarie avec une certaine Antonia Maria Zambelli, avec laquelle il aura cinq enfants.

Des échanges fructueux

Stradivarius voyage peu et ne part pas à la rencontre des musiciens. Ce sont plutôt eux qui viennent à lui, naturellement attirés par la qualité de ses instruments. Les plus grands violonistes de son temps se pressent ainsi à son atelier : Pietro Locatelli, Francesco Geminiani, Giuseppe Tartini, Antonio Vivaldi ou encore Arcangelo Corelli, avec lequel il noue amitié. La collaboration entre le violoniste et le luthier contribue d’ailleurs énormément à l’évolution du violon, tant en ce qui concerne sa facture que son écriture musicale. Il n’est pas anodin que l’apogée de Stradivarius corresponde à celle de Corelli, avec la publication de son magistral recueil de sonates Opus V, en 1700.

Le mythe du vernis

Parmi les supposés secrets de fabrication du luthier crémonais, le verni est sans doute celui qui a fait couler le plus d’encre. Nombreux sont ceux à penser qu’il est l’ingrédient magique qui confère à ses instruments leur sonorité extraordinaire. Le luthier Simone F. Sacconi (1895-1973), par exemple, fasciné par la question, y a consacré un ouvrage devenu aujourd’hui référence : Les secrets de Stradivarius.

Les progrès scientifiques ont toutefois permis de lever le voile sur le mystère. En 2009, une étude menée par le Musée de la musique à Paris révèle la composition des différentes couches du fameux verni. Nulle trace de sous-couche préparatrice ni de propolis ou d’ambre fossile comme les luthiers l’ont souvent cru mais… un simple verni à l’huile !

Plus précisément, à une première couche d’huile se superpose une deuxième couche faite d’un mélange de la même huile et de résine de pin. A cela s’ajoutent des pigments qui varient selon les périodes : oxyde de fer, sulfate de mercure ou cochenille. Ainsi, si les superbes vernis de Stradivarius contribuent indéniablement à la qualité sonore de ses violons, les ingrédients qui les composent ont surtout un intérêt visuel.

Si d’aucun sont déçus à la suite de cette découverte, la perfection du travail du maître n’en continue pas moins à fasciner le monde de la musique. La légende Stradivarius semble avoir encore de beaux jours devant elle !

Violon stradivarius ayant appartenu au virtuose Niccolo Paganini (1782-1840).
Violon stradivarius ayant appartenu au virtuose Niccolo Paganini (1782-1840).
© Getty

Pour aller plus loin

  • Simone F. Sacconi, Les “Secrets” de Stradivarius, Crémone, Castelli et Bour’his, 1989.
  • Frédéric Chaudière, Tribulations d’un stradivarius en Amérique, Arles, Actes Sud, 2005.[](http://collectionsdumusee.philharmoniedeparis.fr/search.aspx?SC=MUSEE&QUERY=**&_ga=2.55282473.380755.1513088517-688705019.1512464578#/Detail/(query:(Id:'11_OFFSET_0',Index:12,NBResults:15,PageRange:3,SearchQuery:(FacetFilter:'%7B%22_111%22:%22video%22,%22_104%22:%22LEXICON_00003101%22%7D',ForceSearch:!t,Page:0,PageRange:3,QueryString:'**',ResultSize:50,ScenarioCode:MUSEE,ScenarioDisplayMode:display-mosaic,SearchLabel:'',SearchTerms:'',SortField:!n,SortOrder:0,TemplateParams:(Scenario:'',Scope:MUSEE,Size:!n,Source:'',Support:''))
  • Enregistrements du Musée de la musique à Paris à propos des violons de Stradivarius.

Voir aussi les romans de Jean Diwo, très bien documentés :

  • Les Violons du roi, Paris, Denoël, 1992.
  • Moi, Milanollo, fils de Stradivarius, Paris, Flammarion, 2007.

Chloë Richard-Desoubeaux