Thomas Hengelbrock, chef attitré de l'Elbphilharmonie veut « transporter la musique vers le XXIe siècle »
Par Victor Tribot LaspièreA la tête de l’orchestre en résidence dans la flambant neuve Philharmonie de l’Elbe à Hambourg, Thomas Hengelbrock a eu l'honneur de diriger le concert d’inauguration. Il nous livre sa vision de ce que doit être une salle du XXIe siècle.
France Musique : la Philharmonie de l’Elbe vient enfin d’être inaugurée après des années d’errements et de polémiques. Comment avez-vous vécu ce moment unique qui ne doit pas arriver souvent dans la vie d’un chef d’orchestre ?
Thomas Hengelbrock : j’ai en effet beaucoup de chance de connaître ce moment historique. C’est une énorme joie et un honneur de pouvoir inaugurer cette salle de concert et ce bâtiment fantastique qui n’a pas d’égal dans le monde. C’est également une grande joie de le faire avec un orchestre aussi formidable.
A l’heure actuelle, la Philharmonie de l’Elbe est certainement l’une des plus belles et meilleures salles de concert au monde. Quelles ont été vos impressions lorsque vous y avez dirigé l’orchestre pour la première fois ?
Les musiciens et moi-même étions très tendus à l’idée de jouer pour la première fois et de découvrir l’acoustique. Le bâtiment a coûté extrêmement cher, plus de 800 millions d’euros et nous nous demandions si le résultat sonore allait vraiment être à la hauteur de cette somme. Mais dès les premières notes de la 1ère Symphonie de Brahms que nous avons joué ce jour-là j’ai vu des musiciens qui avaient des larmes aux yeux tellement c’était époustouflant.
Vous êtes à la fois chef invité de l’Orchestre de Paris à la Philharmonie de Paris et désormais chef attitré de l’orchestre résident de la Philharmonie de l’Elbe. Ce sont des nouvelles salles qui proposent une nouvelle approche de la programmation musicale. Qu’est-ce que ces salles changent dans le paysage culturel ?
La salle du Musikverein de Vienne par exemple, représente le XIXe siècle. C’est très beau et il est important de préserver ce genre de salles. Mais la Philharmonie de Paris ou celle de l’Elbe ici à Hambourg, représentent le XXIe siècle. Ce sont des salles à l’architecture et à l’acoustique fantastiques. Ce qui change, c’est également la disposition du public par rapport à la scène. Il s’agit d’une façon beaucoup plus démocratique d’assister à des concerts. Et cela nous permet de transporter la musique vers le XXIe siècle.
Est-ce le travail fait sur la programmation qui fait le succès de ces philharmonies ?
Absolument. Les temps ont changé. Nous ne sommes plus au XIXe siècle. A cette époque, les sociétés étaient beaucoup plus homogènes. Aujourd’hui, il faut tenir compte du fait que les sociétés sont beaucoup plus mixtes. Différentes cultures vivent ensemble et il faut réagir à cela en tant que musicien. Et il faut se servir de cette force de la diversité pour entraîner le public dans un monde beaucoup plus vaste et cesser de lui proposer toujours le même répertoire. Et c’est d’ailleurs ce que j’ai cherché à faire durant le programme du concert d’inauguration. Je crois qu’il est important de faire tomber les barrières entre les genres. Peu importe que ce soit de la musique ancienne, classique, romantique, moderne ou contemporaine. C’est notre musique. Et lorsqu’on joue cette musique, il faut faire comprendre au public qu’elle est de notre temps, jouée pour notre temps.
Lors du concert d’inauguration, vous avez proposé un panorama de la musique portant sur 4 siècles d’histoire. De Cavalieri à Wolfgang Rihm, qui a créé une œuvre spécialement pour la soirée. Comment l’avez-vous conçu ?
J’ai été guidé par ce que disait Saint Thomas d’Aquin. Selon lui, il n’y a qu’un seul temps. Le passé fait partie du présent et le futur aussi. Tout s’inscrit dans le présent. Il y a donc des liens spirituels qui existent entre ces compositeurs de différentes époques. Cavalieri est très proche de la musique de Rihm que ce soit musicalement ou textuellement. Il s’agit tout simplement d’humains qui s’adressent à d’autres humains en leur parlant de choses humaines.
Cette programmation vous ressemble, Thomas Hengelbrock. Vous êtes aussi à l’aise dans la musique baroque que dans la musique contemporaine...
Oui, j’ai également fait beaucoup de jazz avec Kenny Werner, Stan Getz et Stéphane Grappelli. J’aime vraiment tous les styles. Pour moi il est important de rester curieux. Pourquoi devrions-nous nous enfermer dans une spécialité ? Ca n’a aucun sens lorsque les critiques disent de moi que je suis un spécialiste de telle ou telle période.
Depuis 2011 vous êtes directeur musical de l’Orchestre symphonique de la NDR qui vient de changer de nom pour le NDR Elbphilharmonie Orchester. Un changement de nom n’est pas si courant que cela chez les orchestres. Est-ce que cela va changer le son de l’orchestre et lui permettre d’élargir son champ d’action ?
L’ancien orchestre symphonique de la NDR était déjà un orchestre incroyable. Mes prédécesseurs Christoph von Dohnányi, Christoph Eschenbach ou encore Günter Wand ont fait un travail remarquable. Mais cet orchestre entre dans une nouvelle ère en s’installant dans l’Elbphilharmonie. Il a la chance de se réinventer et nous nous rendons déjà compte qu’il y a déjà des changements dans sa sonorité, dans ses activités et surtout dans sa confiance en lui. Ce n’est pas un hasard si les meilleurs orchestres sont implantés dans les meilleures salles de concert. Le Philharmonique de Vienne au Musikverein, le Concertgebouw à Amsterdam, le Gewandhaus à Leipzig, l’Orchestre de Paris à la Philharmonie. C’est dans ce but que nous avons décidé de changer le nom de l’orchestre de la NDR puisqu’il s’est désormais installé dans sa nouvelle maison : l’Elbphilharmonie.