Tout savoir sur les Concertos pour piano de Beethoven
Par Charlotte Landru-Chandès
Parmi les concertos pour piano de Beethoven, on retient surtout l’« Empereur ». Triomphant, belliqueux et subtil, il est le plus abouti des 5. Mais il n’en demeure pas moins que les 4 qui l’ont précédé ont chacun leur intérêt et montrent une évolution progressive du classicisme vers le romantisme.
C’est dans les années 1790, peu après son arrivée à Vienne, que Ludwig van Beethoven se fait un nom. Mais avant d’être connu comme compositeur, il l’est surtout comme pianiste virtuose. Il écrit d’ailleurs ses premiers concertos dans l’idée de mettre en lumière son aisance et son talent.
« Il s’impose comme le premier pianiste de son temps, même aux oreilles de ceux qui ont entendu Mozart », Jean Massin (Histoire de la Musique Occidentale).
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Ce n’est donc pas un hasard si parmi ses sept concertos, cinq sont destinés au piano. Et à chaque création, c’est Beethoven lui-même qui se tient derrière le clavier. Seule exception, il ne peut exécuter son dernier concerto en public ; atteint d’une surdité de plus en plus prononcée, il craint les erreurs et les fausses notes. C’est donc son élève Carl Czerny qui prend le relai. Mais attention, Beethoven souhaite qu’on applique sa musique à la lettre ! Il note ses propres cadences dans la partition au cas où d’autres pianistes s’aventureraient à imposer les leurs.
Concerto n°1 : Dans l'esprit classique
Le Concerto n°1 en ut majeur est en réalité le n°2. Composé vers 1795-1796, en même temps que celui en si bémol majeur (l’actuel n°2 donc), il n’est achevé qu’en 1798 après de nombreuses révisions, puis créé en 1800, soit cinq années après l’autre.
Pris dans son ensemble, ce premier ouvrage peine à se démarquer de la musique de Haydn et de Mozart. La forme est classique, l’esprit tendre et enjoué. Et malgré un effectif instrumental plus fourni que chez Mozart (avec ajout de clarinettes, trompettes et timbales), des accents mozartiens résonnent à chaque recoin du concerto.
A l’époque, Beethoven donne des cours de piano à de jeunes femmes issues de la noblesse. Parmi ses élèves, la princesse Odescalchi, née Barbara de Keglevics. Un mystère plane autour de la nature de leur relation ; le compositeur lui dédie pas moins de quatre œuvres, dont le Concerto pour piano n°1. Si rien ne laisse supposer une quelconque idylle, les jeunes gens étaient voisins et, vraisemblablement, Beethoven venait lui donner ses cours en robe de chambre et en pantoufles ! (Michel Lecompte, La Musique Symphonique de Beethoven)
Concerto n°2 : Mozart n'est jamais loin…
Ecrit vers 1795 et joué en public pour la première fois la même année, ce concerto est donc le tout premier de Beethoven (si on laisse de côté quelques ébauches de jeunesse). Peu convaincant, « mal-aimé », il est le moins joué des cinq (François-René Tranchefort). Beethoven lui-même n’est pas tendre avec son œuvre quand il écrit à son éditeur : ce « concerto peut valoir seulement 10 ducats parce que je ne le présente pas comme un des meilleurs ».
Michel Lecompte note qu’il est «le moins beethovenien » et « le plus mozartien des concertos de Beethoven ». Sa tonalité de si bémol majeur et l’orchestration sont en effet les mêmes que dans le dernier concerto pour piano de Mozart, le n° 27. Par ailleurs, l’irrégularité qui caractérise le Premier Mouvement le rapproche du maestro viennois. L’exposition de l’orchestre et celle du soliste diffèrent, comme bien souvent chez Mozart.
Concerto n°3 : Premiers pas vers le Romantisme
Un tournant radical s’amorce avec ce Troisième Concerto pour piano. Pour commencer, sa tonalité. Des cinq concertos de Beethoven, il est le seul écrit en mineur. L’ut mineur est l’une des tonalités de prédilection du compositeur. Sombre et tourmentée, on l’entend en effet résonner dans la Sonate pathétique (1799), Coriolan (1807) et la Cinquième Symphonie (1808).
A nouveau, Beethoven fait un clin d’œil à la musique de Mozart. Mais cette fois-ci, c’est pour mieux s’en éloigner. « Son pathos passionné […] est inspiré par le ton "démoniaque" du Concerto en ré mineur de Mozart. Mais nulle part la différence essentielle entre les deux personnalités des musiciens ne se laisse mieux voir qu’ici […]. Beethoven est autre que Mozart. » (Beethoven : les Concertos pour piano, Harry Goldschmidt).
La rupture est consommée : la forme du premier mouvement est ici régulière et le deuxième mouvement tranche par l’emploi de la tonalité lumineuse de mi majeur. Contrairement à ses premières œuvres, Beethoven ne cherche plus à plaire mais s’intéresse à dramatiser le discours musical (Christian Wasselin). Séduits, les romantiques, notamment Liszt, s’inspireront de l’œuvre pour leurs recherches musicales.
Pour l’anecdote, Beethoven aurait manqué de temps pour peaufiner son Concerto avant sa création le 5 avril 1803 à Vienne. Si bien qu’il serait arrivé sur scène avec une partition à moitié vide ! De quoi décontenancer son tourneur de page, Ignaz von Seyfried. « Je ne voyais guère que des pages blanches, tout au plus par-ci par-là quelques hiéroglyphes totalement incompréhensibles pour moi ; il jouait la partie principale presque entièrement de mémoire. »

Concerto n°4 : En toute intimité
Plus souple, plus libre, plus lyrique, le Concerto pour piano n°4 en sol majeur s’impose comme l’un des plus grands concertos de Beethoven. « A présent je veux composer comme j’improvise », aurait-il déclaré au compositeur Antonin Reicha (Gérard Condé). Commencée en 1805, l’œuvre s’inscrit dans une période de création intense, avec le Concerto pour violon, la Sonate Appassionata et Léonore.
Dès les premières notes, le Concerto pour piano n°4 surprend. Le pianiste intervient pendant cinq délicates mesures de solo, alors que d’habitude, son entrée est toujours préparée par une longue introduction orchestrale. Ce procédé avait déjà été utilisé une fois par Mozart dans son Concerto pour piano n°9, dit Jeunehomme. Une expérience mise de côté pour les 18 concertos qui ont suivi.
Comme dans le Concerto n°3, l’orchestre n’est plus réduit au rôle de simple accompagnateur. Les rapports entre orchestre et piano s’équilibrent enfin. Ils se confrontent, conversent dans un dialogue empreint d’expressivité. La voie vers le concerto romantique est belle et bien dégagée.
Concerto n°5 : « Empereur » ou « Anti-Empereur » ?
C’est sous les bombardements que naît l’ultime concerto pour piano de Beethoven. Au moment de sa composition en 1809, Vienne est attaquée et occupée par les troupes napoléoniennes. Jadis perçu comme un héros libérateur dont la Symphonie Héroïque chantait la gloire, Napoléon apparaît, depuis son couronnement en 1804, comme un usurpateur, un traître vis-à-vis des idéaux révolutionnaires (Harry Goldschmidt). Profondément déçu, Beethoven aurait déclaré : « Quel dommage que je ne sois pas aussi fort en stratégie qu’en musique : je le battrais ! »
Ce Concerto n°5 est surnommé « Empereur » après la mort de son compositeur. Aux yeux de Beethoven, il était le « Grand Concerto ». Dès le début, il adopte un ton guerrier, franc, affirmé. Le compositeur note lui-même une série de termes belliqueux dans les esquisses de la partition (« victoire », « combat », « attaque »…).
Cet aspect éclatant est renforcé par la tonalité de mi bémol majeur (celle de la Symphonie Héroïque) et par l’imposant premier mouvement, long d’une vingtaine de minutes. Créé le 28 novembre 1811, le Concerto apparaît à bien des égards comme celui de l’accomplissement, même si le public de l’époque le juge trop compliqué. Après l’Empereur, Beethoven ébauche un sixième concerto, mais l’œuvre demeure inachevée.