Un orchestre américain mise sur la musique face aux stigmates de la maladie mentale
Par Clément BuzalkaIl y a dix ans, un chef d’orchestre diagnostiqué bipolaire a créé un ensemble inclusif, aux Etats-Unis. Cet orchestre accueille sans audition des musiciens souffrant de maladies mentales. Unique au monde, cet ensemble est le fruit d'une stigmatisation des artistes souffrant d'une maladie mentale.
Sa maladie l’a souvent contraint, empêché d’atteindre ses objectifs. Aujourd’hui, la bipolarité de Ronald Braunstein est sa force. D’abord pianiste et violoniste, dans son enfance et adolescence, Ronald Braunstein se distingue par ses talents de composition, très jeune. Passé par la Juilliard School, le Mozarteum de Salzbourg, Fontainebleau et le Tanglewood Music Center, c’est avec le Concours Karajan qu’il lance définitivement sa carrière. En 1979, alors qu’il n’a que 23 ans, il devient le premier Américain à remporter la médaille d’or du premier prix du concours international de direction Herbert von Karajan, à Berlin. Le maestro allemand devient même son mentor, durant les années suivantes. De là, Braunstein est appelé à diriger les plus grands orchestres du monde.
De l'Orchestre symphonique de San Francisco à l'Orchestre philharmonique de Berlin, en passant par l'Orchestre de la radio de Stuttgart, l'Orchestre de la radio suisse, l'Israel Sinfonietta, l'Orchestre philharmonique d'Auckland, l'Orchestre symphonique de Kyoto, l'Orchestre symphonique d'Osaka, l'Orchestre symphonique de Tokyo, l'Orchestre Residentie de La Haye et l'Orchestre philharmonique d'Oslo.
« J'étais capable d'apprendre et de mémoriser des symphonies complètes en une nuit, raconte-t-il à la chaîne américaine CBS News. La musique apporte tout à ma vie. »
Mais en 1985, le diagnostic tombe : Braunstein est atteint de troubles bipolaires. Des moments d’extase et de dépression nerveuse s’installent dans son quotidien. À partir de ce moment, le maestro commence à perdre de nombreuses opportunités d’emploi. « Je savais que je n’obtiendrais plus jamais de poste de chef d'orchestre, se souvient Ronald Braunstein. Ce n’était pas ma décision. Je sentais que je n’avais plus d’option. La seule option était donc de créer mon propre orchestre, avec des personnes comme moi. »
La passion chevillée au corps
Ainsi, après plus de vingt ans à subir la stigmatisation, en raison de sa maladie, sa passion pour la musique ne s’est pas éteinte. En 2011, c’est l’événement de trop : Braunstein est renvoyé par la Vermont Youth Orchestra Association. Il crée alors, avec sa femme Caroline Whiddon, une corniste souffrant de troubles anxieux, une « zone sans stigmatisation » à destination des musiciens atteints de maladies mentales. Leur orchestre, Me2/ Orchestra, est né.
Basé en Nouvelle-Angleterre, l’orchestre est basé sur un principe simple : pas d'audition, pas de frais, pas de stigmatisation. Il est aujourd’hui ouvert à des musiciens souffrant d’une maladie mentale diagnostiquée comme l'anxiété, la dépression, le trouble bipolaire, la schizophrénie ou le trouble de stress post-traumatique, entre autres. Ronald Braunstein en est le directeur musical. Et cet ensemble, qui malgré son nom, n’a rien à voir avec le mouvement #MeToo, qu’il a précédé de près de dix ans, est à l’heure actuelle la seule organisation de musique classique à but non lucratif au monde créée pour les personnes atteintes de maladies mentales. « Nous n'essayons pas d'être le plus grand orchestre du monde. Nous essayons simplement de créer une communauté », insiste Ronald Braunstein, dans une interview télévisée.
Des échanges en direct sur la maladie, avec le public
Durant les épisodes de confinement et de fermetures de salles de spectacle aux Etats-Unis, l’orchestre Me2/ a tenu plusieurs concerts dans des établissements de soin et de réadaptation pour patients atteintes de troubles mentaux et psychiques.
Dix ans après sa création, Me2/ est désormais un ensemble d’orchestres, présents également dans le New Hampshire, le Maine, l'Oregon et le Massachusetts. Et la couverture médiatique qui accompagne les actions de ces ensembles, permet à Braunstein et ses musiciens d’attirer l’attention de tous les acteurs culturels du monde sur les problèmes liés à la santé mentale. Lors de ses représentations, il arrive même aux musiciens volontaires de témoigner, face au public, du lien entre leur pratique musicale et leur maladie.