"Une approche interne du son" : The Sound of Metal, ou comment retranscrire la surdité au cinéma

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"Une approche interne du son" : The Sound of Metal, ou comment retranscrire la surdité au cinéma

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Dans The Sound of Metal, Ruben, un jeune batteur de metal, perd progressivement l'audition.
Dans The Sound of Metal, Ruben, un jeune batteur de metal, perd progressivement l'audition.
- Capture d'écran The Sound of Metal

L'ingénieur du son français Nicolas Becker, tout juste oscarisé, raconte à France Musique comment il a travaillé sur le long-métrage, qui raconte l'histoire d'un musicien qui perd progressivement l'ouïe. Une approche sonore expérimentale, technique, et saisissante.

Le film s'ouvre sur un concert de rock metal, guitare hurlante et percussions effrénées. Mais peu à peu, les sons se confondent, s’effacent et se transforment, à mesure que le musicien Ruben (incarné par Riz Ahmed) perd l’audition. Un voyage sonore retranscrit avec une finesse redoutable par le Français Nicolas Becker, auréolé ce dimanche de l’Oscar du meilleur son pour son travail sur The Sound of Metal, réalisé par l’Américain Darius Marder. « Un film indépendant, très important, subtil, où l’écriture sonore est pensée dès le début par le réalisateur », résume Nicolas Becker, joint par France Musique après sa victoire.

Pour essayer de retranscrire au mieux le phénomène de la perte de l’ouïe, l’équipe du film a commencé à réfléchir un an avant le début du tournage. Fait assez rare pour être souligné par Nicolas Becker : « La plupart du temps, les gens qui font mon travail sont appelés une fois que le montage est terminé », regrette-t-il : « Là, on savait qu’il fallait produire quelque chose de très réaliste pour la perte d’audition de Ruben. »

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Nicolas Becker a remporté ce dimanche l'Oscar du meilleur son
Nicolas Becker a remporté ce dimanche l'Oscar du meilleur son
© AFP - Lewis Joly

Une demi-heure dans le noir et le silence absolu

Plusieurs des membres de l'équipe du film ont décrit avec admiration Nicolas Becker comme une sorte de savant un peu fou, capable de se livrer, avant et pendant le tournage, aux expériences et prises de son les plus improbables pour parvenir au résultat souhaité. Y compris sur The Sound of Metal. « Darius Marder, le réalisateur, est venu à Paris passer une semaine avec moi, pour faire un gros brainstorming : on a essayé de comprendre comment on pouvait produire un vocabulaire basé sur le point de vue et le point d’écoute », relate le plasticien sonore. « La première chose que j’ai faite, c’est l’emmener dans la chambre anéchoïque de l’Ircam » (l’Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique, ndlr) : « Je l’ai plongé une demi-heure dans le noir et dans le silence absolu. Il m’a semblé que c’était une bonne approche : au bout de quelques minutes, on commence à entendre son cœur battre, sentir le sang passer dans ses veines, le bruit de ses tendons… il y a une approche presque interne du son. »

Une partie du travail se fait de façon assez illustrative, une autre est très sensitive, physique. C’est ce dernier point qui m’intéresse le plus"

À quoi ressemble l’univers sonore d’une personne mal entendante ? « Quand on perd l’audition, on entend essentiellement les vibrations sonores qui passent dans les tissus, les os. Ce qui me semblait intéressant, c’est essayer de comprendre comment on pouvait capturer ça », nous explique Nicolas Becker. « C’est très similaire à ce qu’on peut entendre quand on est sous l’eau, ou quand on met les doigts dans ses oreilles, qu’on clôt complètement nos conduits auditifs. C’est cette sorte de son interne, qui devient un peu sourd, qui fait que l’on ne sait plus où on est. »

Un matériel de pointe

Après avoir constitué une bibliothèque acoustique impressionnante, entièrement enregistrée par ses soins, Nicolas Becker a mis directement à contribution l’acteur principal, Riz Ahmed. « J’ai développé une sorte d’appareillage avec des micros et des capteurs extrêmement sensibles pour pouvoir enregistrer les sons internes de l’acteur, à l’intérieur de sa bouche par exemple », décrit celui qui a longtemps travaillé comme bruiteur. Nicolas Becker a recouru à des géophones (des capteurs qui enregistrent les vibrations sismiques), des stéthoscopes, et également un micro « qui est le micro le plus sensible du monde » : « Puis, on a enfermé Riz dans une cabine extrêmement silencieuse : on a alors pu enregistrer tous les petits riens, les tout petits sons qu’il produisait. »

Comme j’ai eu une pratique de bruiteur pendant longtemps, j’ai un rapport entre mon corps et la production de son : une sorte de physicalité dans la production sonore, qui est à la base de mon travail"

Pour la deuxième partie du film, plus lente et introspective, le personnage de Ruben est équipé d’implants cochléaires. « Comme on ne peut être que sourd pour pouvoir ressentir ces implants, il a fallu produire un son qu’on n’aurait jamais entendu », raconte Nicolas Becker : « Un son complètement refabriqué, à partir de très peu d’informations. Des choses extrêmement difficiles à décrire ». En résulte un son expérimental, singulier, un « son Frankenstein », décrit l’ingénieur.

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Et la musique se tut

L’expérience de la surdité est viscéralement éprouvante pour le protagoniste, entièrement dévoué à sa musique. Comment continuer à jouer de son instrument lorsque notre perception des tons, des notes et des sons s’estompe ? « Ruben, le personnage principal, est un addict. Je pense que tous les gens qui font ce genre de métier, dont les musiciens, ces métiers de passion absolue, sont dans cette forme d’addiction. Imaginer nous soustraire d’un de nos sens est quelque chose qui serait extrêmement compliqué. Cela me touchait », confie Nicolas Becker. 

Pour donner à entendre mais aussi à voir cette dépossession, la privation sensorielle du musicien, Nicolas Becker a collaboré très étroitement avec le monteur d’images, dont il salue le travail. « On a vraiment travaillé en duo, afin de produire quelque chose de très naturaliste par rapport à l’écoute de Ruben : un mode de travail, somme toute, assez expérimental ». Ce rapport à l’innovation jalonne le parcours de celui qui a récemment travaillé sur de grosses productions, comme Premier Contact de Denis Villeneuve ou 127 Heures de Danny Boyle.

« J’essaye de faire des choses assez différentes. Ce qui m’intéresse c’est la transversalité, réfléchir à des techniques de travail collaboratives. Je pense que le cinéma a été très loin dans l’hyper spécialisation dans les années 2000, avec un côté hyper-performatif. À un moment donné, le public n’avait plus sa place dans ce cinéma-là », estime Nicolas Becker. « Dans des films comme Gravity, Ex-Machina ou Premier Contact, je fais partie des gens qui ont essayé de proposer des choses qui laissent le spectateur participer beaucoup plus au film. »

Si on veut que le cinéma et son langage évoluent, il faut être capable de retravailler dans des formes de techniques d’atelier, avec plus de transversalité, de collaboration"

Si The Sound of Metal est déjà sorti dans les salles obscures outre-Atlantique, le public français devra encore attendre pour pouvoir vivre au cinéma le voyage sonore concocté par Nicolas Becker. Au départ prévu le 16 décembre, le film attend toujours une nouvelle date de sortie.

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