Valentin Tournet, révélation des Victoires de la musique classique 2022
Par Côme Jocteur-MonrozierRencontre avec le gambiste Valentin Tournet, nommé dans la catégorie “Soliste instrumental” des Victoires de la musique classique 2022.
Valentin Tournet joue de la viole de gambe et est nommé dans la catégorie “Soliste instrumental” des Victoires de la musique classique 2022. Après avoir étudié au conservatoire d'Issy-les-Moulineaux, puis à Bruxelles, il se produit comme gambiste soliste tout en dirigeant son ensemble, La Chapelle Harmonique, avec lequel il réalise plusieurs enregistrements. Nous l'avons rencontré lors des répétitions au Studio 104 de la Maison de la Radio et de la Musique, vendredi 14 janvier.
Comment avez-vous découvert la viole de gambe ?
J’ai découvert la musique ancienne avant de découvrir la viole de gambe. Mes parents écoutaient beaucoup de musique baroque, renaissance ou médiévale, très peu de musique “classique”. Il y avait énormément de disques d’Andreas Scholl, le contre-ténor, car ma mère adore sa voix, mais aussi les albums de Jordi Savall, notamment la bande originale de Tous les matins du monde. Ce n’est pas un film qu’on fait regarder aux plus jeunes, parce qu’il y a certaines scènes qui peuvent être choquantes, mais j’ai découvert la bande originale et le son de la viole de gambe avant de voir le film.
Ensuite j’ai commencé la viole le jour de mes cinq ans et ma passion pour l’instrument n’a fait que grandir. D’ailleurs je suis assez content que la viole de gambe soit représentée aux Victoires de la musique classique parce que c’est plutôt rare. C’est en réalité toute une famille d’instruments : quand on l’étudie, on commence par le dessus de viole puis on passe au ténor de viole et ensuite à la basse de viole. Je suis resté dix ans au conservatoire d’Issy-les-Moulineaux à apprendre la viole et la musique, avant de partir faire mes études supérieures à Cergy-Pontoise, à Bruxelles et à Paris au CNSM.
Qu’est-ce qui vous a décidé à en faire votre métier ?
Je me souviens d’avoir réalisé un jour, au conservatoire d’Issy, que c’était ce que je voulais faire, je devais avoir dix ans environ. J’étais passionné par la musique et j’ai compris que je voulais être musicien à vie et en faire mon métier, même si quand on est artiste, il n'y a pas toujours beaucoup de frontières entre le côté personnel et professionnel. En fait quand ça s’est imposé à moi, je me suis dit que ça allait être ma vie pas tellement que ça allait être mon métier.
Ma première expérience professionnelle, ça a été d’organiser de mes 13 ans à mes 16 ans des tournées estivales pour jouer de la viole de gambe. Je faisais tout et ça m’a énormément plu : je gérais la communication, la presse locale, les programmes et ensuite je collais les affiches pour attirer du monde. Ma dernière tournée, j’ai fait 11 dates dans l’été, j’ai réussi à faire un tour de France, avec notamment un concert à Marseille où on a dû refuser du monde. Ça m’a donné aussi le goût de l’entreprise artistique et culturelle.
Comment avez-vous abordé la direction d’orchestre ?
Je chantais aussi quand j’étais petit à la Maîtrise des Hauts-de-Seine et j’y ai pris le goût de l’orchestre. Avec mon goût pour l’entreprise, ça m’a mené à créer un orchestre baroque, celui de La Chapelle Harmonique : j’ai continué à démarcher les programmateurs, à construire des programmes en trouvant des artistes, en constituant des équipes, et ça m’a aussi beaucoup plu. J’ai pris des cours de direction mais pas dans un conservatoire parce que la technique de direction moderne ne m’intéressait pas en tant que telle. Je suis allé voir directement Philippe Herreweghe, William Christie, des chefs du baroque et ça s’est fait comme ça. C’est comme ça qu’aujourd’hui j’aime conjuguer le côté artiste et le côté entrepreneur.
Comment travaillez-vous votre instrument ?
Il faut que ça reste un plaisir de jouer. En gérant un ensemble indépendant, je passe aussi les deux tiers de mon temps à faire de l’administratif et à gérer mon équipe mais j’ai besoin de faire de la musique tous les jours. Soit en jouant mes instruments : j’en ai une dizaine chez moi de toutes les tailles, de toutes les époques et de toutes les écoles. Soit en étudiant des partitions. Par exemple, hier j’ai travaillé l’oratorio Semele de Handel, en écoutant la version de Gardiner en surlignant, en traduisant les paroles et en notant des indications : j’aime énormément faire ça, ça constitue aussi une culture générale nécessaire.
Vous avez un rêve comme musicien ?
J’ai déjà réalisé un rêve en créant un festival qui s’appelle Musique à la source, en Creuse, qui se situe là où a été tourné Tous les Matins du monde. Je rêvais de jouer dans les lieux de tournage et j’ai pu le faire. Peut-être un deuxième rêve, ce serait de donner L’Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach à Bethléem un 25 décembre. Ça fait plusieurs années que j’y pense, j’ai déjà rencontré les autorités israéliennes et palestiniennes. Il faut déplacer une cinquantaine d’artistes pendant leurs congés de Noël, ce qui n’est pas évident mais j’espère qu’un jour on pourra le faire.
Qu'est ce que ça changerait pour vous d'obtenir cette Victoire de la musique ?
Il y a très peu de gens qui sont vraiment indépendants d’esprit et qui arrivent à juger par eux-mêmes, ils ont besoin d’avoir une approbation médiatique pour croire en un artiste et pour le suivre. Rien que de faire partie des nommés, c’est quelque chose qui adoube dans le milieu. C’est une exposition médiatique hors du commun et, pour la musique ancienne, ça donne une rare opportunité de sortir certains répertoires de leurs carcans.
Un proche, un musicien ou un artiste qui vous a donné envie de faire de la musique ?
Les personnalités qu’on me faisait écouter quand j’étais petit : Andreas Scholl, Jordi Savall, Philippe Herreweghe ou encore René Jacobs. Tous les artistes d’Harmonia Mundi et d’Alia Vox qui ont été des modèles soit dans la musique instrumentale soit dans la musique en grand effectif. Christie, Gardiner mais aussi René Clemencic pour la musique médiévale.
J’ai aussi rencontré quelqu’un qui m’a soutenu et a cru en moi : Laurent Brunner, le directeur de Château de Versailles Spectacles. Je suis allé le voir pour faire une Passion selon Saint Jean à la Chapelle Royale de Versailles, je n’avais jamais rien fait et personne ne me connaissait mais il a cru en moi sans m’écouter. Mon côté volontaire et mon goût pour l’entreprise l’ont convaincu. On l’a fait et ça a lancé notre ensemble. Il faut toujours quelqu’un qui fasse confiance, avant une exposition médiatique. Je lui dois donc beaucoup.
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