VIDÉO - Rudolf Noureev, danser la liberté

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VIDÉO - Rudolf Noureev, danser la liberté

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Noureev, le danseur dissident
Noureev, le danseur dissident
© Getty - Imagno / Hulton Archive

En 1961, en pleine Guerre froide, le danseur russe Rudolf Noureev demande l'asile politique en France. Tout au long de sa carrière, la Russie ne cessera de le hanter et il ne pourra revenir dans son pays que 26 ans plus tard.

À l’annonce de sa mort en 1993, le chorégraphe Angelin Preljocaj souligne que pour Noureev, art et politique sont intimement liés : « Le fait qu'il se soit échappé d'une sorte de prison où les libertés ne sont pas données, où même la liberté de danser est très codifiée et est un véritable carcan. Le fait de danser en Occident, c'est une manière pour lui de danser la liberté. »

Rudolf Noureev et la Russie (en vidéo)

Danser, une vocation à toute épreuve

Noureev découvre la danse à l’âge de six ans lorsqu’il assiste à un ballet à Oufa, en Sibérie et c’est un coup de foudre irrévocable. Malgré les difficultés, la pauvreté de sa famille, les brimades de son père, il s’accroche à sa passion : « J’ai décidé que c’était ce que je voulais faire toute ma vie ». Il débute par les danses folkloriques et impressionne déjà par son talent. Mais il lui faut attendre d’avoir dix-sept ans pour apprendre le ballet classique à l’école du Kirov à Leningrad. 

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Très volontaire, il passe des heures à la barre pour rattraper l’énorme retard technique accumulé. Il progresse vite et intègre la classe d’Alexandre Pouchkine. Rapidement, le danseur interprète les rôles principaux des ballets. 

Mais il montre vite un caractère bien trempé. Il n’hésite pas à exprimer ses désaccords, à se mettre en colère contre les professeurs ou les autres danseurs : «  Il n'a pas arrêté d'être en conflit avec les directeurs de danse, avec le KGB... Il n'a jamais cédé. Tout jeune, il a dû se battre énormément pour devenir le danseur qu'il était. On ne voulait pas de lui. Il avait commencé tard », précise Wilfried Romoli, danseur étoile de l’Opéra de Paris, qui a notamment dansé pour et avec Noureev.  En 1960, il est envoyé en tournée dans le nord de la Russie. Épuisé par les heures de route, il découvre que le lieu de représentation est de taille insuffisante. Il n’hésite alors pas à laisser sa compagnie en plan et à revenir à Leningrad. Suite à ce coup d’éclat, Noureev est exclu et ne peut plus suivre la troupe du Ballet du Kirov dans sa tournée européenne. 

Mais Janine Ringuet, responsable des échanges culturels entre la France et l’URSS, assiste par hasard à sa représentation de Don Quichotte. Aussitôt, elle envoie un télégramme à Paris : « J’ai vu le meilleur danseur du monde » et insiste tant et si bien que Noureev peut partir pour Paris en 1961.

La dissidence 

A Paris, c’est l’éblouissement réciproque : il captive les Parisiens et tombe sous le charme de la ville lumière. Noureev n’a de cesse d’enrichir sa culture artistique : après les représentations, il quadrille la capitale, assiste à des spectacles, visite tous les musées… Il se rapproche des danseurs français et n’hésite pas à échanger avec les occidentaux, ce malgré les règles imposées par le KGB. Le couperet finit par tomber… Au moment de partir pour Londres, on lui explique qu’il doit retourner à Moscou pour donner un gala et « là, il comprend que tout ça, c'est des mensonges et il sait qu'il ne ressortira plus jamais de Russie », décrit Wilfried Romoli. Le danseur trompe la vigilance des membres du KGB, court vers des policiers à l’aéroport et demande l’asile politique. 

L’affaire est très médiatisée et le jeune transfuge de l’Est devient rapidement une star. Mais l’Union soviétique fait pression sur les théâtres et les institutions pour qu’il ne soit pas recruté : ainsi, il ne pourra pas travailler pour l’Opéra de Paris avant 1967. En parallèle, il est condamné à sept ans de prison en Russie. Pendant 25 ans, il va vivre dans l’inquiétude permanente : il est menacé, suivi, tout comme le sont ses proches, sa famille subit des intimidations. Il voyage sous de faux noms, change d’avions à la dernière minute.

L’héritage artistique russe : les ballets classiques de Marius Petipa 

Avec lui, Rudolf Noureev amène un véritable bagage artistique, le patrimoine russe des ballets de Marius Petipa. Né en 1818, ce danseur français s’installe en Russie à l’âge de 29 ans. Il devient maître de ballet puis chorégraphe et signe une soixantaine de ballets dont les très grands chefs-d’œuvre : La Belle au bois dormant, Casse-noisette, Le Lac des cygnes, Le Corsaire, Don Quichotte, La Bayadère

Le classicisme est mon idéal. La valeur de la danse classique est énorme. Elle apporte du sang à chaque ballet moderne. - Rudolf Noureev

Noureev modernise ces ballets classiques et les fait revivre en Occident, précise Wilfried Romoli : « Dès son arrivée à l'Ouest, il a commencé à remonter tout de suite ces pièces, il a repris certains passages exactement dans la tradition. Il avait tout en mémoire, à l'époque, il n'y avait pas de films. »

Il développe également les rôles masculins. Les danseurs ne sont plus cantonnés à mettre en avant les ballerines ou à les porter, ils occupent le devant de la scène et leur danse gagne en sensibilité et théâtralité.  « Pour moi, Rudolf était très contemporain dans sa façon d'aborder le classique », affirme Wilfried Romoli, actuellement professeur de danse à l’Opéra de Paris.

Retour en Russie

Pour Noureev, la Russie suscite des sentiments mitigés : s’il appelle sa mère chaque semaine, il n’envisage pas d'y retourner. En 1985, lors de la sortie du film Soleil de nuit  de Taylor Hackford, il partage ses inquiétudes les plus fortes à Wilfried Romoli. Le film raconte l’histoire d’un transfuge de l’URRS, incarné par le danseur Mikhaïl Baryshnikov, qui survole la Russie. L’avion s’écrase et le personnage est arrêté par le KGB : « Ce qui se passe dans le film, c'est le cauchemar de toute ma vie, je cauchemarde de ça », confie Noureev à Wilfried Romoli. Le danseur et chorégraphe avait la réputation de prendre ses billets d’avion en essayant de ne jamais survoler les pays de l’Est.

En 1983, sa nomination au poste de directeur de l’Opéra de Paris, validée par le président français François Mitterrand, est un signal fort d’émancipation de la Russie. Celle-ci menace d’interdire tout échange artistique avec la France.

En 1987, il obtient l’autorisation de revenir en Russie pour aller voir sa mère, très malade. Si le voyage l’inquiète, il en plaisante avec les danseurs de l’Opéra de Paris : « Bon, j'espère revenir lundi ». A son retour, il dissimule son malaise sous un éclat de rire et finit par avouer : « Elle ne m'a pas reconnu ».

Pour en savoir plus : 

  • Noureev l’insoumis, Ariane Dollfus, Flammarion, 2003
  • Rudolf Noureev. Une vie, Julie Kavanagh, L’archipel, 2018