Au cœur de la relation entre musique et vin, il y a l’ivresse. Une ivresse parfois divine, échappatoire ou même politique.
Le Vin & la Musique, accords et désaccords : l’exposition organisée du 23 mars au 24 juin 2018 à la Cité du Vin de Bordeaux nous rappelle combien musique et vin sont intimement (et historiquement) liés.
Des banquets et fêtes antiques au petit verre de vin consommé à l’entracte par les spectateurs d’opéra, il semble que là où s’écoute la musique, on trouve aussi du vin. Et inversement.
Pourquoi l’art viticole et l’art musical s’entrecroisent-ils tant et depuis si longtemps ? La réponse tient peut-être en un mot : l’ivresse.
Ivresse divine
Dionysos est le fil rouge de l'exposition Le Vin & la Musique, il accompagne le visiteur tout au long de l’exposition. Cet important personnage de la mythologie grecque n’est autre que le dieu du vin et de la démesure. Il était célébré tous les ans à l’occasion des Dionysies, de grandes fêtes durant lesquelles défilait le ‘cortège dionysiaque’, ivre et chantant.
Selon Aristote, le théâtre grec est né de ces fêtes débridées, mais néanmoins artistiques. Un théâtre musical, durant lequel le public pouvait entendre instruments et chœurs.
Au Moyen Age, si les excès de l’âme et du corps ne sont pas encouragés par l’Eglise, c’est bien dans les monastères que se développent les techniques de viticulture moderne. Les moines et abbés composent par ailleurs les premiers chants grégoriens, prémisses de notre musique occidentale. La vie quotidienne des monastères est donc aussi bien rythmée par les airs liturgiques que les travaux viticoles, et la carte de France des vins conserve aujourd’hui la trace des grandes abbayes d’antan.
Ivresse politique
Si les fêtes données en l’honneur de Dionysos donnent libre cours à la démesure, elles n’en restent pas moins une manière de renforcer le sentiment de communauté. Car dans la société grecque antique, là où il y a du vin et de la musique, c’est toujours au service de la cité.
L’autre lieu – et pas des moindres – où le citoyen grec consomme du vin, c’est le banquet, un important moment de sociabilisation et de réflexion. Les convives y partagent du vin coupé à l’eau, débattent et échangent selon des règles de paroles strictes, et écoutent les récits des grands héros chantés par les musiciens.
Pour le philosophe Platon, le vin et la musique sont deux instruments politiques. Ils soulagent et élèvent l’âme, non pas vers les divinités, mais vers l’échange et la perception politico-philosophique, tant qu’ils ne sont pas consommés avec excès. Le maître du banquet décide d’ailleurs des quantités de vin absorbées par chaque convive, de même que les musiciens sont souvent éloignés lorsque les discussions prennent des tournures plus sérieuses.
Cette tradition du banquet, du vin et de la musique au service du corps social, se retrouve à chaque époque de notre histoire : des grands repas donnés par les seigneurs au temps du Moyen Age et animés par les troubadours aux cafés-concerts d’aujourd’hui, en passant par les fêtes baroques ou les théâtres musicaux parisiens du XIXe siècle où il était bon de se montrer et de faire ses premières sorties.
Ivresse dangereuse
« L’ivresse est une folie volontaire » Sénèque
L’extase et la perte de contrôle induites par l’ivresse ont toujours suscité méfiance et contrôle. A commencer par Platon qui, s’il loue les vertus du vin ou de la musique, s’interroge aussi sur leurs limites. Dans Les Lois, il fait ainsi dire au personnage de l’Athénien : « Est-ce que l’intensité de nos plaisirs et de nos peines (…) est surrexcité par l’acte de boire du vin ? (…) Mais qu’en est-il, cette fois, pour nos perceptions et nos souvenirs ? Pour nos jugements et notre intelligence ? »
Le même Platon distingue ‘bonne’ et ‘mauvaise’ musique : la ‘bonne musique’ est celle qui respecte l’harmonie naturelle (et mathématique) de la nature, et qui permet ainsi à l’âme humaine d’entrer en communion avec son environnement. Elle doit être simple et pure, jamais excessive.
L’Eglise elle aussi, mettra en garde ses fidèles contre la mauvaise musique, celle qui corrompt l’âme. Elle rejette par exemple le premier courant de musique profane, l’ars nova, qui selon les autorités ecclésiastiques éloigne les fidèles de la prière et ne peut être conforme à la volonté de Dieu.
C’est d’ailleurs aux Goliards, des moines subversifs, que l’on doit les premières chansons à boire. Face aux interdictions émerge ainsi le personnage du débauché, celui qui vante les plaisirs de la chaire et de la taverne dans de grivoises paroles mises en musique. Une tradition qui sera longtemps reprise, puisque le vin et la musique ne sont pas seulement liés, ils s’inspirent aussi l’un de l’autre. Le vocabulaire de la dégustation œnologique emprunte par exemple beaucoup à celui de la musique, de même que nombreux compositeurs ont loué les plaisirs du bon vin dans leurs partitions.