Vivaldi, Hasse, Farinelli... L'éblouissante Venise du XVIIIe siècle !
Par Guillaume DecalfTout est musique et plaisir dans la Venise du XVIIIe siècle. C’est ce que met en lumière l’exposition “Éblouissante Venise !” au Grand Palais jusqu’au 21 janvier 2019.
« Eblouissante Venise ! », tel est le titre donné par le Grand Palais pour l’exposition consacrée aux arts dans la république Sérénissime du XVIIIe siècle. Éblouissantes, les scènes de jeu du Ridotto du Palazzo Dandolo à San Moisé peintes par Francesco Guardi, l’entrée du Grand Canal sous le pinceau de Canaletto, mais aussi la musique, omniprésente dans la cité vénitienne.
Venise et la musique, c’est une histoire de masques et d’orphelines. De masques, car l’opéra vénitien n’est ouvert que pendant la période du célèbre carnaval, faisant de l’événement le point culminant de la vie musicale. Et d’orphelines, car c’est une des particularités de la Cité des Doges : quatre « pieux hospices » (Pio Ospedale) recueillaient des jeunes filles pour en faire des musiciennes, constituant un fabuleux champ d’expérimentation pour les compositeurs…
Carnaval, masques et opéra
Si la musique est partout à Venise, elle est davantage présente pendant la période du carnaval. Une période un peu spéciale dans la Cité des Doges, puisqu’elle dure plus longtemps, du début du mois d’octobre à l’Avent, puis du 26 décembre au mardi gras, plus deux semaines supplémentaires à l’ascension. Les maisons d’opéra sont nombreuses : citons le Teatro San Benedetto, le plus célèbre de la seconde moitié du XVIIIe siècle, le Teatro San Moisé, le Teatro Sant’Angelo dont Vivaldi fut l'imprésario, ou encore le Teatro San Samuele qui voit la création de Griselda du même Vivaldi.
Venise attire alors toute l’aristocratie européenne. Derrière le masque, rois et reines, princes et ducs bénéficient d’un anonymat qui leur permet de s’adonner au jeu du Ridotto qui consiste à se rendre au café ou à l’opéra tout en passant inaperçu. Cette aristocratie souhaite acclamer les grands noms, applaudir Farinelli, que tous les théâtres vénitiens s’arrachent. C’est ce qu’explique Catherine Loisel, commissaire de l’exposition Éblouissante Venise ! au Grand Palais :
Farinelli a eu un énorme succès à Venise, on dit qu’on le suivait sur la Piazza San Marco quand il sortait. Il y avait entre les théâtres une émulation, parce que Farinelli rassemblait le plus de public, il fallait donc que les autres théâtres présentent des spectacles magnifiques pour avoir aussi un public.
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Cette même aristocratie voudra ensuite, une fois rentrée dans son pays natal, retrouver les charmes de leur séjour vénitien. La grande chanteuse Faustina Bordoni, née et formée musicalement à Venise, connut un tel succès que sa carrière dépassa bien vite les frontières italiennes, comme à Londres où elle crée de nombreux rôles d’opéras de Haendel, et Dresde où elle épouse le compositeur Johann Adolf Hasse.
Exporter Venise et ses charmes, cela passe également, pour les compositeurs, par la programmation et l’édition de leurs œuvres dans les grandes villes d’Europe. Les célèbres 4 Saisons de Vivaldi sont imprimées une première fois à Amsterdam en 1725, et données 3 ans plus tard au Concert Spirituel à Paris. La composition, elle, est néanmoins bel et bien vénitienne, et est intimement liée au formidable vivier de jeunes musiciennes dont bénéficiait le Prêtre roux à l'Ospedale della Pietá…
La musique des orphelines
La grande particularité de la vie musicale vénitienne au XVIIIe siècle, c’est la présence d’artistes de grande qualité, issus de quatre hospices qui assurent leur formation musicale. Le plus célèbre est l'Ospedale della Pietá, où Vivaldi fut d’abord maître de violon (à partir de 1704), puis compositeur principal (de 1713 à 1740).
Ces hospices, au nombre de quatre à Venise, recueillent tant les orphelines que les filles issues d’unions illégitimes. Quasi cloîtrées, ces jeunes filles sont, selon leurs capacité, dévouées à l’entretien de l’institution, ou deviennent instrumentistes ou chanteuses, et donnent des concerts très appréciés du public, comme en témoigne Jean-Jacques Rousseau, secrétaire à l’ambassade de France à Venise en 1743-1744 :
Tous les dimanches, à l’église de chacune de ces quatre scuole, on a, durant les vêpres, des motets à grand chœur et en grand orchestre, composés et dirigés par les plus grands maîtres de l’Italie, exécutés dans les tribunes grillées, uniquement par des filles dont la plus vieille n’a pas vingt ans. Je n’ai l’idée de rien d’aussi voluptueux, d’aussi touchant que cette musique : les richesses de l’art, le goût exquis des chants, la beauté des voix, la justesse de l’exécution, tout dans ces délicieux concerts concourt à produire une impression qui n’est assurément pas du bon costume, mais dont je doute qu’aucun cœur d’homme soit à l’abri.
Vivaldi, tout comme Hasse, Lotti, Tartini, et bien d’autres compositeurs enseignants dans ces hospices, bénéficient ainsi d’artistes de haut niveau pour interpréter leurs compositions. Une particularité qui contribue à faire de Venise une ville majeure dans la vie musicale européenne. Mais, comme le souligne l’historien de la musique Patrick Barbier « aucune d’elle ne pouvait “faire carrière”. Un frein qui nuisit profondément à l’image de la Sérénissime au cours du XVIIIe siècle et qui explique pourquoi cette dernière fut rapidement détrônée par Naples : la cité parthénopéenne, de son côté, envoyait sans état d’âme ses jeunes adultes des conservatoires (tous des hommes) exercer leur art aux quatre coins de l’Europe, consacrant partout l’idée d’une “école napolitaine” auréolée de prestige ! ». Pour éblouissante qu’elle fut, Venise aurait ainsi gagnée à favoriser la carrière de ses musiciennes…
Éblouissante Venise ! Venise, les arts et l’Europe au XVIIIe siècleJusqu’au 21 janvier 2019 au Grand Palais