Wayne Shorter, légendaire saxophoniste de jazz et compositeur, est mort
Par Léopold Tobisch
Véritable titan du jazz, le saxophoniste et compositeur de jazz légendaire Wayne Shorter est mort ce jeudi 2 mars à l'âge de 89 ans. Le célèbre jazzman avait traversé et marqué les nombreux chapitres de l’histoire du jazz, et ce depuis les années 1950.
Le monde du jazz est en deuil. Wayne Shorter, artiste de jazz à la renommée internationale, s’est éteint ce jeudi 2 mars à l'âge de 89 ans, nous annonce le New York times. Saxophoniste hors du commun qui a contribué de manière profonde au développement du jazz moderne, il fut également un compositeur dont le nom, après plus de 60 ans de carrière, est incontestablement inscrit dans l’histoire de ce genre. France Musique lui rendra hommage dès ce jeudi.
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Né le 25 août 1933 à Newark, New Jersey, Wayne Shorter est bercé par le son à la radio des œuvres de Count Basie et de Duke Ellington : la musique et notamment le jazz s’installent très tôt dans l’inconscient de Wayne Shorter. S'il s’intéresse initialement au dessin et au modelage, c’est à l’âge de 15 ans qu’il exprime une passion pour la musique. D’abord initié à la clarinette, il passera ensuite au saxophone pour en faire son instrument de prédilection.
Sa curiosité musicale lui fait découvrir les expérimentations « bebop » de grands jazzmen tels que Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Max Roach et Thelonious Monk, mais aussi la musique classique révolutionnaire d’Igor Stravinsky. De ses premières influences, Wayne Shorter retiendra surtout une idée en particulier : maîtriser les règles afin de pouvoir les contourner. L’originalité en somme.
Diplômé en 1956 en harmonie et en orchestration, Wayne Shorter se fait rapidement connaitre pour ses talents de saxophoniste, et côtoie des artistes aussi prestigieux que Lester Young, Freddie Hubbard, John Coltrane, Sonny Rollins, Max Roach, Maynard Ferguson, et Horace Silver. Il rejoint en 1959 l’ensemble des « Jazz Messengers » du batteur Art Blakey, et sera pendant quatre ans son directeur musical. Compositeur prolifique, bon nombre de ses œuvres deviennent des standards incontournables de l'ensemble.
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Si la carrière de Wayne Shorter semble déjà bien lancée, elle sera confirmée en 1964 lorsqu’il est invité à rejoindre le « Second Great Quintet » de Miles Davis aux côtés de Herbie Hancock, Ron Carter et Tony Williams, ensemble prestigieux au sein duquel Shorter ne tardera pas à faire ses preuves : « Je savais qu'avec lui, on allait faire de la grande musique. C'est ce qui est arrivé, très vite » écrira plus tard Miles Davis dans son autobiographie.
L'arrivée de Shorter dans l'ensemble est si naturelle qu'elle inspire en Miles Davis un sentiment de communication musicale innée, de télépathie mentale, qu'il surnommera E.S.P. (Extra Sensory Perception). Ensemble, ils produisent un jazz libéré de toutes contraintes, sans pour autant tomber dans le « free jazz ». Plutôt que de suivre le format habituel d’un ensemble avec un « leader », le Quintet de Davis est un lieu de partage libre et équitable entre chaque musicien, un esprit musical que Shorter n’oubliera jamais. Ses compositions pour l'ensemble se démarqueront par leur extraordinaire originalité, dotées d'une logique harmonique novatrice, aux antipodes des normes musicales de l'époque.
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Sideman fidèle même après la dissolution du quintette en 1968, Shorter accompagne Miles lors de sa transition du jazz post-bop vers ses premières expérimentations d’une fusion jazz-rock électrique. Il participe aux albums incontournables In a Silent Way et Bitches Brew de Miles Davis, et compose pour Davis de nombreux titres emblématiques, tels que Pinocchio, Nefertiti, Sanctuary et Prince of Darkness.
En parallèle de ces expériences marquantes, Wayne Shorter produit également ses premiers enregistrements pour le label Blue Note, une collaboration fructueuse entre 1964 et 1970 pour laquelle Shorter produira onze albums (ainsi que deux nouveaux albums en 2013 et en 2018), dont Night Dreamer, Juju, et Speak No Evil. Ces albums en particulier font preuve d’une synthèse parfaite entre le compositeur novateur et le saxophoniste virtuose qui résident alors en Shorter. Il enregistrera ensuite pour Columbia (1974-88) et Verve (1995-2005) avant de revenir de nouveau à Blue Note (2013 et 2018).
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S'il joue à l’origine du saxophone ténor, Shorter se rapproche progressivement du saxophone soprano à la fin des années 1960, un changement de timbre qui marquera également sa façon de jouer, passant du style intense et dur du saxophone ténor à la sensibilité et au lyrisme moins frénétique du saxophone soprano.
En 1970, Shorter fonde le groupe légendaire Weather Report avec le pianiste Joe Zawinul, que Shorter côtoie lors de sa collaboration avec Miles Davis. Les deux musiciens s’inspirent des expériences innovantes de fusions avec Davis pour créer un groupe sans frontières musicales, sans limites de genres. Le groupe mené par Shorter explore autant le jazz bebop que le funk, la musique latine, la musique ethnique et la musique d’avant-garde. Aux côtés du bassiste Miroslav Vitous et le percussioniste Airto Moreira, Weather Report accueille également des artistes tels que le bassiste Jaco Pastorius. Entre 1970 et 1985, Weather Report fera de Shorter une légende musicale internationale et remportera six Grammy Awards.
Lors d’une tournée de Weather Report au Japon avec Carlos Santana en 1973, Wayne Shorter découvre le Bouddhisme, qui deviendra un pilier fondamental de sa pensée et son identité artistique. Sa grande spiritualité lui permettra notamment d’affronter et de surmonter les douloureuses épreuves à suivre dans sa vie, notamment la mort de sa fille en 1985, et de sa nièce et de sa femme Ana Maria dans un accident d’avion en 1996. Les valeurs Bouddhistes influenceront également son esthétique d’improvisation musicale.
Saxophoniste, leader et compositeur accompli, Shorter est également un sideman très demandé par Donald Byrd, McCoy Tyner, Freddie Hubbard, Herbie Hancock et Tony Williams. Il collabore également avec divers artistes en dehors du jazz tels que Milton Nascimento (Native Dancer), Carlos Santana (The Swing of Delight) et Steely Dan (Aja), mais surtout la chanteuse Joni Mitchell, longue collaboration de 1977 à 2002 de laquelle naîtront 10 albums qui étendront la renommée de Shorter.
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Dans les années 2000, sa carrière est loin de s’essouffler : Shorter rassemble le pianiste Danilo Perez, le bassiste John Patitucci et le batteur Brian Blade pour créer son propre ensemble, le Wayne Shorter Quartet. De retour au saxophone ténor, Shorter met en avant ses propres compositions qui lui offriront plusieurs nouveaux Grammy Awards. Il se verra également récompensé par le Lifetime Achievement Award du Thelonious Monk Institute of Jazz (2013), le Grammy Lifetime Achievement Award (2014) pour ses nombreuses contributions à la culture et à l’histoire, et le Polar Music Prize (2017)
Une retraite musicale fut inconcevable pour Wayne Shorter, qui continua de créer et d’innover malgré son âge et ses problèmes de santé. En 2016, il fonde le « super groupe » Mega Nova aux côtés de Santana, Hancock, Marcus Miller et Cindy Blackman Santana. En 2018, à l’âge de 85 ans, il enregistre Emanon avec son Wayne Shorter Quartet et l’Orpheus Chamber Orchestra qui sera également traduit en roman graphique dont le héros éponyme est inspiré de Shorter lui-même, écrit par Shorter et Monica Sly et dessiné par Randy DeBurke.
Il déplore tout au long de sa carrière le manque d’esprit novateur chez beaucoup des grands noms du jazz contemporain, citant souvent de nom le trompettiste Wynton Marsalis, et défie à travers sa musique les traditions et les règles du jazz, souhaitant sans cesse étendre les liens de ce genre vers de nouveaux horizons inexplorés. « Pour moi le mot jazz veut dire ‘Je te lance un défi’. [...] Cette musique traite de l’inattendu. Personne ne sait vraiment comment faire face à l'inattendu. Comment répétez-vous l'inconnu ? » explique-t-il lors d’une interview avec la radio américaine NPR en 2013.