William Christie dirige The Beggar's Opera : « Si on me demande la partition, je ne saurais pas quoi montrer »
Par Victor Tribot LaspièreWilliam Christie et les Arts Florissants présentent leur nouvelle production au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris dans une mise en scène de Robert Carsen : The Beggar’s Opera de John Gay, considéré comme la première comédie musicale de l’histoire de la musique, avec trois cents ans d’avance.
Rarement, voire jamais donné en France, The Beggar’s Opera (1728) est un ovni musical. Considéré comme la première comédie musicale au monde, près de trois cents ans avant que le genre ne devienne à la mode, L’Opéra des gueux en français appartient au genre du ballad opera qui n’a pratiquement existé qu’en Grande-Bretagne au XVIIIe siècle.
Un genre conçu en réaction à la prédominance de l’opéra italien et qui fait la part belle à la satire, la parodie sur des mélodies populaires, des airs d’opéras en vogue ou de la musique sacrée. Inspiré du vaudeville à la française, le ballad opera est à l’origine du singspiel allemand et inspira Kurt Weil et Bertolt Brecht pour l’écriture de l’Opéra de quat’sous, qui n’est autre qu’une réécriture de The Beggar’s Opera. L'histoire se situe dans les bas-fonds de Londres où malfrats et prostituées se disputent la fortune d'un bandit de grand chemin.
Jusqu’à présent, nous n’avions qu’une très vague idée de ce à quoi devait ressembler la musique originale arrangée par Johann Christoph Pepusch. C’était sans compter sur le savoir-faire des Arts Florissants qui ont œuvré à retrouver l’esprit musical de l’œuvre au moment de sa création. Rencontre avec William Christie, fondateur et directeur musical des Arts Florissants, qui dirige l'oeuvre au Théâtre des Bouffes du Bord à Paris.
France Musique : The Beggar’s Opera appartient à un style lyrique dont nous sommes peu familiers en France. Comment définiriez-vous le ballad opera ?
William Christie : En effet, ce type d’opéra est assez inconnu en France actuellement. Mais ça n’a peut-être pas toujours été le cas. De plus en plus, nous nous rendons compte que bien avant The Beggar’s Opera, il existait quelque chose de similaire en France. A la fin du XVIIe siècle à Paris, il y avait une tradition de musique pour les foires. On mélangeait la musique de Lully par exemple avec des airs populaires dans un contexte de parodie, de satire. C’était très répandu et extrêmement apprécié du public de ces foires. John Gay avait de nombreux contacts avec les musiciens et les comédiens français qui se produisaient à Londres. Il est évident qu’il a été inspiré par cette forme de spectacle pour créer The Beggar’s Opera.
On dit communément que The Beggar’s Opera est la toute première comédie musicale de l’histoire. Peut-on dire que le fameux humour britannique, que l’on retrouve chez les Monty Python par exemple, a pu naître à cette époque ?
Ce mélange de sérieux et de ridicule, on le retrouve surtout chez Shakespeare. C’est une façon de s’exprimer qui est différente de ce qu’on trouvait en France. C’est lié à la langue, aussi. Avec un peuple anglais qui est un tout petit peu guindé, de mentalité protestante mais qui adorait aussi mélanger le sérieux avec le comique. Ce n’est donc pas né avec cet opéra, même si The Beggar’s Opera synthétise parfaitement la mode de cette époque.
John Gay est l’auteur de cet opéra mais lorsqu’il s’agit de savoir qui a écrit la musique, ce n’est plus très clair. Johann Christoph Pepusch est indiqué comme étant l’arrangeur de la musique. Quel a été son rôle précisément ?
Tous les honneurs vont en effet à John Gay. On ne sait pas très bien pourquoi il a fait appel à Johann Christoph Pepusch. Je crois que si on l’a sollicité c’était pour qu’il fournisse une ouverture à l’opéra, à la française. Mais pour ce qui est de la musique qui était jouée dans l’opéra, nous n’en avons pas la moindre idée. A notre disposition, nous avons une première édition de The Beggar’s Opera où ne figurent que les mélodies. Des airs très connus comme Greensleeves, Mary had a little lamb, Blacksheep. Ce sont les seules indications musicales qui y figurent. Mes collaborateurs ont travaillé à partir de la troisième édition qui est également d’une simplicité déconcertante. Il n’y a que la partition pour la voix et celle pour la basse continue.
Quand j’ai découvert la partition dans les années 1960 et que j’étais étudiant à Harvard, The Beggar’s Opera avait été arrangé pour grand orchestre et pour des voix qui chantaient Wagner ou Mozart. Il serait impensable de refaire pareil à notre époque. C’est pourquoi nous avons décidé de monter l’opéra avec une troupe de comédiens avec des voix assez belles pour défendre cette musique si simple. Le public verra une pièce de théâtre dont les dialogues chantés ont été quelque peu modernisés tout en restant résolument britanniques.
C’est pour cette même raison que vous avez choisi un ensemble de musiciens très resserré ? Deux violons, un alto, un violoncelle, une contrebasse, un traverso, un hautbois, un clavecin, des percussions et un luth.
Oui, parce que le point de départ était de constituer une troupe dont les mots-clés sont la spontanéité, l’improvisation, la légèreté et la simplicité. Si quelqu’un demandait à regarder la partition, je serai dans l’impossibilité de lui présenter quoique ce soit. Nous sommes exactement dans la même disposition qu’un orchestre de Duke Ellington en 1929. Chaque soir sera différent. Il y a une trame, on décide qui va jouer où, et avec qui, mais rien n’est écrit. Il n’y a que des indications du type « quelque chose de fort et bruyant » ou « pas de continuo, seulement une harmonisation simple au luth ». En ce sens, nous nous rapprochons de la façon dont était donné l’opéra au moment de sa création en 1728.