Yannick Nézet-Séguin : "Le travail d'un directeur musical avec un orchestre se fait sur la durée"
Par Jean-Baptiste Urbain, Charlotte Landru-ChandèsYannick Nézet-Séguin dirige l'Orchestre du Metropolitan Opera dans une nouvelle production du Wozzeck de Berg jusqu’au 22 janvier 2020 à New York. Rencontre avec Jean-Baptiste Urbain.
Le Québécois Yannick Nézet-Séguin est l'un des chefs les plus prisés de la planète. Nommé à la direction musicale de l’Orchestre du Metropolitan Opera en 2018, il dirige aussi l'Orchestre Métropolitain de Montréal, sa ville natale, depuis plus de 20 ans et vient d'en être nommé chef à vie. On le retrouve aussi à la tête de l'Orchestre de Philadelphie qu’il dirige depuis 2012, celui de Rotterdam dont il est le chef honoraire, et d’autres formations avec lesquelles il collabore comme l'Orchestre de chambre d'Europe.
Interview menée par Jean-Baptiste Urbain
Jean-Baptiste Urbain : Nombreux sont les chefs qui dirigent plusieurs orchestres. Pour vous, n’était-ce pas suffisant d'être le directeur du Metropolitan Opera de New York ?
Yannick Nézet-Séguin : C'est une profession qui est fondée sur un principe d'échange. Selon moi, il est sain que chaque institution ait un directeur musical qui reste pendant plusieurs semaines, plusieurs mois aux côtés d'un ensemble. De la même manière, c'est une bonne chose que les musiciens de chaque institution, de chaque orchestre ou maison d'opéra travaillent avec d'autres chefs. Et inversement, chaque chef doit pouvoir communiquer avec différents groupes de musiciens. C'est une circulation d'idées, d’inspirations, de demandes, qui enrichit tout le monde et nourrit la musique que l'on fait. Géographiquement, les trois institutions dont je suis responsable ne sont pas trop éloignées les unes des autres. On me nomme parfois “the maestro of the Northeast Corridor” parce que Montréal, New York et Philadelphie forment un arc. Malheureusement, cela veut dire que je voyage moins en Europe... Mais il n'est pas question de choisir entre l'Amérique ou l'Europe. C’était un choix de me concentrer géographiquement sur une formidable maison d'opéra, un formidable orchestre historique et un orchestre tout aussi formidable qui est plus récent, plus jeune.
Diriger ces trois orchestres, ce n'est donc pas une hyperactivité, une boulimie ou une peur du vide ?
Non, je ne suis pas hyperactif ni boulimique et je n'ai surtout pas peur du vide, parce que quand je fais le vide, croyez-moi, je le fais vraiment ! C’est plutôt un amour profond de la musique et des musiciens. Si j'apporte beaucoup d'énergie à ce que je fais, j'en reçois tout autant. Cette profession m'apporte tellement ! A vrai dire, nous sommes nombreux parmi les musiciens à être très actifs. Si vous demandez aux musiciens du Met ou à ceux de l'Orchestre de Philadelphie comment ils occupent leur temps entre une répétition le matin et un concert le soir, ils vous répondront qu'ils enseignent, qu'ils font de la musique de chambre, de la musique contemporaine... C’est dans la nature du musicien de vouloir consacrer le plus d’heures possibles à la musique.
Où vivez-vous désormais, à Montréal ou à New York ?
La seule réponse est : où vivent mes chats ? Ils vivent à Montréal. Je suis toujours citoyen canadien, c'est là où je passe la majorité de mon temps. Mais pour le travail, en ce moment, je suis essentiellement à Philadelphie. La balance va changer un peu l'année prochaine, je serai davantage à New York. Mais cela ne m'empêche pas de revenir à Montréal pour les week-ends, les semaines où je suis libre, et pour tous mes projets avec l'Orchestre Métropolitain. Donc j'ai trois maisons, dans trois villes ! Mais là où vivent mes trois chats c'est ma maison principal ! Ils vivent très bien quand je ne suis pas là mais on est toujours très heureux de se retrouver.
Vous sentez-vous aujourd'hui davantage anglo-saxon que francophone ?
Quand on est Montréalais, on aime se sentir exactement entre les deux, aussi bien français que nord-américain. Je me sentirai probablement toujours d'abord québécois, même si je travaille beaucoup aux Etats-Unis. Le seul problème avec la langue, c'est quand on donne des interviews... J'en perds un peu mon français car la plupart du temps, elles sont en anglais. Souvent mon cerveau s'auto-traduit de l'anglais vers le français ! Cela m'arrive aussi lors des répétitions. Quand je retrouve l'Orchestre Métropolitain à Montréal, j'ai tendance à vouloir parler anglais parce qu'avec d'autres orchestres, je répète souvent en anglais. Mais la langue française reste très importante pour les Québécois, c’est avec elle que j’ai été élevé, ce pourquoi elle occupe une large place dans ma vie.
"De la fin de mon adolescence au début de la vingtaine, je venais au spectacle avec le rêve de me retrouver un jour dans la fosse. Mais pour concrétiser ses rêves, il faut travailler"
Vous voilà depuis maintenant plus d'un an en fonction au Metropolitan Opera de New York. Quel est votre premier souvenir en tant que spectateur au Met ?
Il s'agit de La Bohème, un souvenir parfait car c'était une production de Zeffirelli qui est - si j’ose dire - une attraction touristique, mais au meilleur sens du terme. C'est une production qui n'a pas d'âge, qui est extraordinaire, impressionnante, qui est belle, qui parle, qui dit tout. Quiconque viendrait au Met pour la première fois trouverait ce spectacle inoubliable. Je suis souvent venu à New York auparavant pour aller à l'Opéra et écouter, apprendre le répertoire, que ce soit Aïda, Nabucco, Rigoletto, Susannah de Carlisle Floyd qu'on ne joue plus vraiment, ou encore Parsifal, Pelléas... De la fin de mon adolescence au début de la vingtaine, je venais au spectacle avec le rêve de me retrouver un jour dans la fosse. Mais pour concrétiser ses rêves, il faut travailler.
La première fois que vous avez dirigé l’Orchestre du Metropolitan Opera c'était dans Carmen, il y a tout juste dix ans, en janvier 2010. Cette Carmen de Bizet, est-ce que vous le dirigeriez de la même façon aujourd’hui ?
Il y a des choses que je ferai différemment, c'est certain. Mais je ne renie pas la manière dont je l’ai dirigé à ce moment-là. Je suis arrivé avec l'envie de donner à cette musique tout l'amour dont j'étais capable, avec cette volonté d'insuffler le maximum d'énergie à la partition et à ses interprètes. C'est un très beau souvenir pour moi. Je voulais aussi essayer de m'éloigner le plus possible de la routine. La routine ne fait pas bon ménage avec la musique. Les productions et partitions d'opéra qui reviennent très souvent peuvent être dangereuses. Ici, l'orchestre a sens de l'éthique formidable. Je n’ai jamais l'impression que les gens sont au fond de leur siège, un peu blasés.
Comment votre rapport avec l’Orchestre du Metropolitan Opera a-t-il évolué en dix ans ?
C'est peut-être l’évolution idéale : apprendre à se connaître lentement, par petites doses, une ou deux fois par an, et ensuite travailler vraiment ensemble. Ainsi il n'y a pas d'effet de surprise, ce qui est très bien. L'année dernière, l'orchestre et moi sommes partis avec un gros bagage, qui nous a permis d'aller directement vers quelque chose de plus profond. Le travail d'un directeur musical avec un orchestre se fait sur la durée, ce n’est jamais fini. C'est formidable de sentir que je jette de nouvelles bases pour l'avenir, et je l’espère pour bien des années.
Quelle est la spécificité de cet orchestre ? Je vous regardais en répétition et remarquais que dans la fosse, les musiciens sont plutôt jeunes...
Absolument ! D’un côté il y a les plus anciens, ceux qui sont arrivés il y a un peu plus de dix ans. C'est un orchestre d’Opéra formidable, ici c'est le meilleur ! Certes je ne suis pas neutre, mais quand même, je le crois. C'est un orchestre qui est toujours au maximum de sa concentration, ce qui est essentiel à l'opéra. C'est aussi un orchestre qui écoute. J'ai rapidement compris que si ma baguette n'était pas tout à fait avec les chanteurs, l'orchestre allait davantage les suivre que moi, et ils font bien. Je dois à présent cultiver cela avec les plus jeunes. Il y a beaucoup de nouveaux musiciens formidables dans l’Orchestre. Ils ne demandent qu'à être guidés dans une esthétique ou une façon de concevoir la musique qui diffère du symphonique, et ce pour beaucoup de raisons. D'abord, cela demande de l'humilité car à l’Opéra, l'orchestre est presque toujours dans une fonction d'accompagnement. Les chanteurs ont raison et on doit s'adapter à ce qu'on entend. Cet art de l'écoute n’est pas passif mais actif, c'est comme de la musique de chambre à grande échelle. C’est aussi une question de beauté sonore, mais jamais pour une fin en soi. Il faut toujours concevoir la musique par rapport à l'histoire. Par exemple, un grand diminuendo peut symboliser quelqu'un qui s'endort ou quelque chose qui s'évanouit, qui s'éloigne. Je dois développer un vocabulaire plus imagé en fonction du contenu dramatique d'une oeuvre. Cela rend le jeu de l'orchestre absolument unique. On peut demander aux musiciens plus de caractère, plus d'articulation ou des choses très techniques, mais parfois, une référence visuelle, poétique ou dramatique va donner à la musique le bon caractère.
"Le directeur musical est quelqu'un qui est au centre de la vie de l'Opéra"
Qu'est-ce qu’un directeur musical exactement ? Est-ce juste un chef d'orchestre ou est-ce qu’il y a d'autres fonctions ? Quel est votre rôle sur la distribution vocale, le casting, le choix des chanteurs, le choix des opéras présentés cette année ...?
C’est tout cela à la fois. Il y a aussi le lien avec le choeur, il y en a très peu dans Wozzeck mais nous avons travaillé en profondeur avec lui dans Turandot de Puccini. Ce qu’on appelle le music staff, l’équipe musicale, est sous ma responsabilité : les chefs de chant, les coachs vocaux, les pianistes, les souffleurs, les assistants-chefs... Globalement le directeur musical est quelqu'un qui est au centre de la vie de l'Opéra. Je me vois comme un agent de communication qui essaie de faciliter l'échange entre tous ses départements. Ce qui fait que l'opéra est ce qu'il est, c'est quand tout ceci vient s'imbriquer pour marcher main dans la main. Dans une grande maison comme le Met, il est très important d'avoir le sentiment qu'on est une grande équipe et j’ai l’impression que mon rôle est de faciliter ce sentiment.
Sur le choix des ouvrages des prochaines saisons, on trouve davantage d'opéras rarement joués, plus de musique ancienne, baroque... J'imagine que vous avez votre mot à dire ?
Absolument, ce sont surtout des discussions entre Peter Gelb, le directeur, et moi. Nous avons ensuite des réunions en groupe au moins une fois par semaine pour le choix des distributions. Je n'ai pas forcément le contrôle sur l'ensemble des rôles, mais dans les grandes lignes. On essaie de développer des trajectoires avec les chanteurs et les chanteuses qui font partie de la maison. Nous voulons qu’il y ait une évolution d'année en d'année. Par exemple Peter Mattei chante au Met depuis des années, c'est l'un de nos plus grands artistes. C'est important de pouvoir le laisser jouer des rôles qu'il connaît mais aussi qu'il puisse avoir des prises de rôle comme ce Wozzeck, et avoir la liberté de le faire sur la scène très exposée du Met. Il est ici en famille, nous le connaissons, il connaît les metteurs en scène, les chefs de chant, il y a donc une zone de sécurité pour que l'artiste puisse donner au public quelque chose de nouveau. Et oui, nous programmons plus d'opéras baroques, plus d'opéras contemporains mais aussi des oeuvres plus rares. Ce qui est fascinant, c'est que nous vivons beaucoup dans le futur. Par exemple, cette semaine, nous avons eu des discussions pour la saison 2023-2024. Et globalement, nous avons déjà déterminé la saison 2024-25. On connaît aussi certaines premières qu'on va faire en 2026-27... c'est fou, mais j'adore ça !
Est-ce qu'il y aura toujours autant d'opéras français ?
Nous allons même essayer d’en donner davantage ! La France compte beaucoup de merveilleux chanteurs. En ce moment on parle beaucoup de Benjamin Bernheim qui va d’ailleurs venir chanter ici. J'ai un grand amour pour le répertoire français. L'année dernière, j'ai dirigé des oeuvres phares comme les Dialogues des Carmélites, Pelléas et Mélisande, et cette année il y aura Werther, [NDLR avec Piotr Beczala dans le rôle-titre et Joyce DiDonato dans celui de Charlotte]. C'est quelque chose qui va revenir d'année en année.
Jusqu'au 22 janvier, vous dirigez Wozzeck de Berg. La représentation du 11 janvier sera retransmise au cinéma partout en France et sur France Musique. L'opéra au cinéma, qu'est-ce que cela change pour vous ?
C'est l'une des plus grandes choses qui soit arrivée au Met dans ces deux dernières décennies. Depuis mon arrivée il y a dix ans avec cette Carmen, j'ai connu une évolution dans la maison. Au début, c'était très intimidant pour tout le monde. Il y avait de la pression, on se disait : “ce sera le live en HD, il va falloir faire différemment, la concentration sera plus difficile etc...” Les chanteurs se mettaient à jouer plutôt pour les caméras, étaient moins en rapport avec le reste de la salle ou avec la fosse. Aujourd'hui, tout cela est devenu plus naturel et souvent, la meilleure représentation est celle qu'on diffuse. C'est beau de se dire qu'on partage notre art avec des centaines de milliers de personnes à travers le monde et que dans plus de 70 pays, il y a une unité, que tous ces gens vivent la même émotion avec les chanteurs. C'est beaucoup de pression, mais c'est aussi le bonheur de partager.
Selon vous, est-ce audacieux de faire Wozzeck au cinéma ?
A ce compte-là, tout est audacieux ! Dans Wozzeck, nous avons une belle distribution avec de formidables chanteurs-acteurs : Elza van den Heever ou Peter Mattei par exemple... Le cinéma va chercher beaucoup de détails qui se perdent dans une grande salle. Les deux expériences sont très différentes. Dans notre programme au cinéma, j'apprécie aussi le fait d'avoir des interviews pendant les pauses, puis avant et après la représentation. Dans Wozzeck il n'y a pas de pauses, mais il y quand même un pré et un post-programme où le public peut avoir accès à notre arrière-scène, à la "cuisine".
Dans ce Wozzeck mis en scène par William Kentridge il y a des projections, des ombres chinoises, une animation comme au fusain... Avez-vous le temps d'apprécier le spectacle ?
La semaine dernière quand on répétait avec piano sur scène, je disais à William Kentridge "j'emmagasine toutes les images que je peux car je vais être occupé avec l'orchestre après !" Mais finalement, je suis suffisamment dégagé de cette partition pour pouvoir emmagasiner les images. Elles viennent un peu plus comme par flash, pour m'inspirer. Parfois j'aimerais pouvoir m'asseoir, regarder, écouter et me laisser envahir par ce monde formidable. Quand on est en train de diriger une production comme chef, on n'a pas de vision globale, on est trop proche et notre cerveau est trop occupé à tout garder à flot. Mais il y a quand même certaines images dont je vais me nourrir pour m'inspirer.
Qu'est-ce qui vous séduit tant dans cette partition de Wozzeck ? J'ai lu que vous la compariez à la Passion selon Saint-Matthieu de Jean-Sébastien Bach : vous dites que c'est la partition la plus complexe du 20e siècle...
Pour moi c'est un chef-d'oeuvre absolu, chaque note et même plus ! Il y a le chef-d'oeuvre formel, d’où la comparaison avec Bach. On y voit un hommage clair, toutes les formes baroques s'y retrouvent, de la suite de danses (sarabande, gavotte), jusqu'aux variations, très chères à l’époque baroque, mais aussi aux fugues. Même les gens peu familiers de la musique, mais qui aiment la musique baroque, peuvent reconnaître ces différentes formes. Bien que très torturé dans son sujet, Wozzeck est d'abord une oeuvre où la musique est extrêmement touchante quand elle se met à chanter, à pleurer. Il y a des moments de grand chaos, de violence, mais il y a ces moments de douleur très humaine, surtout dans les interludes orchestraux, qui révèlent les émotions que les personnages ne peuvent exprimer parce qu'ils sont trop opprimés. L'orchestre donne une voix à leurs émotions. C'est pourquoi je pense que c'est une oeuvre parfaite, d'une durée parfaite, environ 1h30. On ne pourrait pas ajouter une minute de plus car c'est une oeuvre très intense. N'est-ce pas précisément ce que l'art peut nous apporter, cette intensité de tous les instants ?
Yannick Nézet-Séguin, en arrivant au Met vous avez déclaré avoir réalisé le rêve de votre vie. Ce rêve, est-ce qu'il continue ? Il ne vous a jamais déçu ?
Tous les jours je me considère comme l'homme le plus chanceux du monde. J'ai la chance d'avoir tous ces musiciens et ces chanteurs qui donnent leur talent, leur énergie au public. A la fois, cela me permet et me demande de donner le meilleur de moi-même. C'est loin d'être facile ou relaxant, il y a beaucoup de pression, mais c'est un bonheur, il n'y a aucun regret.
Faut-il secouer cette maison qu'on dit parfois un peu conservatrice ?
C'est certain qu'il faut la secouer, mais sans violence. Il faut surtout écouter tout le talent, les mille et quelques personnes qui travaillent dans cette maison, qui ont quelque chose à dire, à apporter avec tout leur dévouement à cet art. Lorsqu’elles se sentent écoutées, on peut galvaniser les troupes et essayer de faire en sorte que, même à plus de mille, on se sente comme dans une seule et même famille, au service de l'opéra.
Cette saison il y a Porgy and Bess de Gershwin, qui n'avait pas été représenté depuis très longtemps, Akhnatende Philip Glass... est-ce que ce sont des oeuvres que vous aimeriez travailler, approfondir, et diriger peut-être ?
Je vais diriger Porgy dans quelques années, je suis tombé amoureux de la production !
Ce sera le 1er février au cinéma en France...
C'est une belle saison, avec de beaux succès, avec un Porgy and Bess qui est tellement bien rempli qu'on a pu ajouter des représentations. Cela ne s'était pas vu dans l'ère moderne du Met. Et Akhnaten de Philip Glass qui a été tellement populaire... Tout cela confirme ce qu'on pense depuis longtemps : au lieu d'être supposément conservateur, notre public demande plus de nouveautés, et c'est ce que nous allons leur donner. Bien sûr, nous garderons toujours les grands Verdi et Puccini, mais nous avons aussi besoin d'oeuvres qui reflètent notre temps et notre réalité.
Et Mahagonny de Kurt Weill ?
C'est en projet !
Après 20 ans à la tête de l'Orchestre Métropolitain de Montréal, vous en êtes maintenant le directeur musical à vie. Est-ce que cela vous fait peur ?
C'est une émotion unique. Je n'aurais jamais cru que cela arriverait dans ma vie, mais en même tant c'est la logique de la relation que j'ai avec ces musiciens. Rien ne remplace les premières amours... Ce ne sont pas forcément elles qui durent toujours mais parfois, oui. Il y a tellement de répertoire que j'ai découvert avec eux et qui était aussi une première fois pour l'orchestre… c'est une relation irremplaçable. De plus, se demander tous les trois, quatre ou cinq ans jusqu'à quand je vais rester présente une insécurité. J'adore Montréal, je suis dévoué à ma ville alors, devenir directeur musical à vie du Métropolitain est devenu logique. Un peu comme le reste : il faut oublier la peur et prendre cette belle marque de confiance que l'orchestre m’offre et que j’offre à l'orchestre.
Et pourriez-vous être tenté par l'aventure française, un jour où les orchestres français sont beaucoup trop indisciplinés pour un chef nord-américain comme vous ?
J'ai eu de superbes relations avec des orchestres français comme celui de Toulouse, l'Orchestre national de France... Evidemment, je ne dirige pas d'orchestre français pour la bonne et simple raison que je ne dirige presque rien comme chef invité, c'est tellement limité. Dans 10 ans, quand j'aurai fait beaucoup d'années avec Philadelphie et avec le Met, j'aurai 54 ans ! A cet âge on est encore considéré comme un très jeune chef. J’aurai donc encore le temps d'avoir une période peut-être plus européenne.
Pour finir, l'année 2019 a été très riche pour vous en disques : il y a eu les Rachmaninov 2e volume avec Daniil Trifonov et l'Orchestre de Philadelphie, Mozart avec la Flûte enchantée, il y a eu également un Sibelius avec l'Orchestre Métropolitain de Montréal et un récital Verdi avec cet orchestre... 2020 va-t-elle être une année aussi chargée ?
Très bientôt il y aura la parution chez Deutsche Grammophon de la Huitième de Mahler, qui va paraître d'ici quelques semaines en janvier. Cela me rend très fier, très heureux, c'est un enregistrement live d'il y a trois ans pour les cent ans de la première de l'oeuvre qui avait été donnée par l'Orchestre de Philadelphie. On va aussi enregistrer les neuf symphonies de Beethoven avec le Chamber Orchestra of Europe que nous jouerons à la Philharmonie en avril, tout comme nos Schumann avec l’Orchestre de Chambre d’Europe et les Mendelssohn. On continue aussi des parutions Sibelius avec le Métropolitain, et je viens de jouer le Winterreise avec Joyce DiDonato qui a été enregistré au Carnegie Hall.
Vous avez la planète musicale à vos pieds. Pour 2020, que peut-on vous souhaiter ?
La santé, pour pouvoir toujours continuer à servir la musique et les musiciens. Je souhaite aussi la paix à notre planète, que nous comprenions combien on y tient et je souhaite que de plus en plus de gens profitent de tout ce que la musique peut apporter pour rendre notre monde meilleur.
Wozzeck d'Alban Berg mis en scène par William Kentridge et dirigé par Yannick Nézet-Séguin, au Met jusqu’au 22 janvier 2020
Retransmis en direct dans les cinémas Pathé et sur France Musique le 11 janvier 2020