2018, l’année de Moha la Squale ?

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2018, l’année de Moha la Squale ?

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2018, l’année de Moha la Squale ?
2018, l’année de Moha la Squale ?
© Radio France

"C'est la Squale ma gueule" !

Deux ou trois phrases de Jacques Brel en intro , une prod simpliste -voire une face B-, quelques dédicaces au XXème arrondissement et à la rue Duris, une grosse présence et un grand sourire face à la caméra, des textes narrant le quotidien de petit dealer et l’enfance sans grandes libertés financières pendant deux minutes ou moins, quelques millions de vues, et une centaine de commentaires évoquant une ressemblance frappante avec Mister You  : ni révolutionnaire, ni façonnée dans l’objectif de créer un buzz, la recette de Moha la Squale est d’une efficacité rare . En quelques mois seulement, le jeune parisien a conquis suffisamment d’auditeurs pour attirer l’attention des maisons de disques, et signer un contrat avec Warner. Considéré comme la potentielle grande réussite de l’année 2018, tout semble aller dans son sens.

Une telle percée en si peu de temps présente cependant des effets pervers  : Moha la Squale est aujourd’hui si attendu qu’il ne peut même plus prétendre au titre de révélation de l’année 2018, étant donné que son éventuelle réussite ne surprendra personne : si tout se passe bien, il confirmera les attentes ; dans le cas contraire, il décevra les espoirs placés en lui. Sa première sortie officielle sera guetté et analysée par un public et des observateurs exigeants, sans tenir compte du fait que le rappeur n’est encore, techniquement, qu’un débutant n’ayant encore jamais cherché à complexifier sa musique ou à prendre des risques sur le plan artistique -laissons lui un peu de temps sur ce point, ce premier album sera probablement l’occasion de le faire.

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L’éventuelle surprise pourrait donc venir du contenu de cet album, dont on ne sait encore rien, si ce n’est qu’il ne devrait pas trop tarder. Moha ne pourra pas se contenter de proposer dix-huit pistes de deux minutes chacune  en déblatérant des textes denses axés sur ses activités de petit commerçant de la rue, et devra forcément proposer autre chose. En ce sens, la comparaison très redondante avec Mister You est effectivement justifiée : avant son premier album en maison de disques, on s’interrogeait de la même manière sur sa capacité à diversifier sa musique et ses thématiques -en clair, à réaliser un véritable album de rap plutôt qu’une playlist enrichie. Jusqu’ici, Moha la Squale s’est cantonné à des morceaux très courts (rarement plus de deux minutes trente) sans réel refrain, tellement spontanés qu’ils évoquent plus des freestyles que des titres véritablement pensés dans leur ensemble.

De ce point de vue, de nombreux bons exemples démontrent qu’un rappeur très rue initialement conçu pour découper le beat sans trop se poser de questions peut terminer par produire des morceaux extrêmement élaborés sur tous les plans : il y a cinq ans, qui aurait imaginé Niro proposer un titre comme Printemps Blanc ? L’énorme marge de progression de la Squale est donc bien un indicateur positif concernant la suite de sa carrière  : dans le fond, on peut considérer que l’on n’a eu droit, jusqu’ici, qu’à un aperçu de ses qualités, et que son véritable potentiel est encore loin d’avoir été révélé. Et puis, heureusement qu’il présente encore des lacunes, sinon suivre son évolution n’aurait aucun intérêt.

Le changement de dimension extrêmement rapide de Moha la Squale ne s’applique en effet pas uniquement en termes de visibilité et de médiatisation : d’un statut de rappeur amateur autoproduit, il passe à celui de star potentielle signée en maison de disques , et donc entouré d’une équipe capable de l’épauler, le conseiller, et lui permettre de donner une nouvelle perspective à sa musique. Encore très brute et très instinctive, celle-ci nécessite tout simplement d’être dégrossie et affinée. Pour reprendre une image convenue mais claire : Moha possède un bon un gros diamant qu’il convient désormais de tailler.

À partir de là, deux constatations simples se présentent : d’une part, Moha a des qualités réelles sur lesquelles il doit miser ; d’autre part, Côté points forts, ça saute aux yeux : la présence du rappeur devant la caméra est l’un de ses atouts principaux, sa formation de comédien étant bien entendu responsable de son aisance et de sa capacité à capter l’attention. Ses gimmicks, sa gestuelle, sa façon d’occuper l’espace, tout fonctionne parfaitement, et on peut imaginer que la mise en images de ses morceaux devra occuper une part centrale dans la promotion de son premier projet -que ce soit sous forme de clips scénarisés, de courts-métrages à la PNL, ou sous une autre forme. Même chose pour les interviews : plutôt sélectif jusqu’ici, avec une seule apparition chez Radio Nova (et quelques vieux dossiers), on sent que le garçon a des choses à dire, et que sa spontanéité peut représenter une arme à utiliser à bon escient. En ce sens, la comparaison avec Mister You revient se poser comme un exemple des choses à faire et ne pas faire : sa personnalité extravertie lui avait permis de se démarquer et de toucher le public, mais avait trouvé ses limites face une fois arrivé sur les plateaux de télévision face aux réquisitoires des deux procureurs Pulvar et Polony. Si les personnalités de You et la Squale ne sont pas forcément comparables, il faudra tout de même garder à l’esprit que toute opération de promotion n’est pas forcément bonne à prendre. Pour le reste, 1. Moha est inexpérimenté mais semble loin d’être stupide 2. il sera bien entouré et conseillé, mais comme on l’a vu avec Mister You, et comme on nous le prouve à longueur d’année, la télévision est parfois très cruelle avec les rappeurs 3. il est d’une génération qui n’en a plus grand chose à secouer de la télévision, et c’est une très bonne chose.

Toujours en lien avec sa formation de comédien et sa participation au Cours Florent , les attaches de Moha la Squale avec des auteurs a priori éloignés de son univers pourraient se poser comme des atouts sérieux : de ses références à Shakespeare, à sa propension au storytelling, en passant son attitude théâtrale, le lien entre les planches et le studio pourrait clairement le point qui pourrait permettre au rappeur de se démarquer, de toucher un public plus large que sa fan-base potentielle, et d’aller susciter l’intérêt d’une presse pas forcément spécialisée -il est honnêtement assez facile d’imaginer une presse très grand public s’extasier avec toute la condescendance qui la caractérise sur “cet ex-dealer qui cite Shakespeare” (retenez ces quelques mots, ils reviendront dans chaque présentation de Moha au moment où il sortira son album).

Dans son écriture, Moha la Squale pose de grosses bases d’introspection, avec, visiblement bon nombre de vieux démons à exorciser (“C'est bien moi qui caillait sur Duris, j'avais froid, midi-minuit toute l'année, j'avais faim ” ; “Panka puait les égouts, à deux doigts d'devenir fou, Papa Noël, tu vois ma gueule, t'étais où ? ”), quelques tranches de vécu à raconter (son enfance visiblement pas parfaite, ses premiers pas dans la délinquance, son passage à Fleury, son arrivée au cours Florent, sa percée dans la musique ...), un caractère bien trempé, et une personnalité plutôt ambitieuse qui sait ce qu’elle laisse derrière, et qui ne pense qu’à regarder devant.

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2018 sera-t-elle donc l’année de Moha ? Quoi qu’il arrive, son évolution sera particulièrement intéressante à suivre, puisqu’une telle attente pour un premier projet est rare. Dans une configuration différente (et avec des cheveux plus lisses), Sch avait transformé l’essai avec A7 il y a deux ans . Et puis, dans le pire des cas, si ça ne fonctionne vraiment pas avec le rap, il restera la comédie, que ce soir au théâtre ou au cinéma. En studio comme sur les planches, Moha la Squale a toutes les cartes en main pour s’assurer un avenir en or .

Crédit photo : 420 Workshop / capture Freestyle Booska P