Au festival de Cannes, le "vieux monde" sous le feu des critiques
Par Valentin DesprésEn 2023, l'image du Festival de Cannes semble écornée par son manque de considérations environnementales et ses positions discutables sur la question des violences faites aux femmes.
Cannes, ses stars, son glamour et son luxe exacerbé... Depuis près de 80 ans, le prestigieux festival de cinéma installé sur la Côte d'Azur incarne le rêve et le raffinement. Sauf qu'après #MeToo et à l'heure des sécheresses, des mégafeux et du déclin de la biodiversité, l'image de l'événement n'est plus aussi flamboyante et le festival, aujourd'hui perçu par certains comme l'incarnation d'un "vieux monde" déconnecté, fait l'objet de critiques nourries.
La palme du greenwashing
Thierry Frémaux, son délégué général, affirmait pourtant il y a deux ans que "la prise de conscience et la défense de la planète" était l'une des priorités de l'industrie cinématographique. "Nous sommes le premier festival à afficher des convictions environnementales", ajoutait-il. Les convictions environnementales en question ? Des tapis rouges en fibre recyclée, des limousines électriques pour les déplacements des festivaliers et d'obscurs projets de compensation carbone à l'autre bout de la planète.
Malheureusement, ces quelques mesures ne peuvent suffire à effacer l'empreinte environnementale considérable causée par les déplacements des stars en jet privé et de leur séjour en yacht ou dans des établissements hôteliers luxueux. Cette opulence est d'autant plus critiquable qu'elle contraste violemment avec les efforts de sobriété demandés aux Français, pour des raisons environnementales ou de forte hausse du prix de l'énergie.
Pour protester contre ce décalage, des activistes du mouvement de désobéissance civile Extinction Rébellion ont tenté d'empêcher le décollage d'un jet privé, ce samedi 20 mai. Les militants ont attaché des fumigènes à des voitures télécommandées et les ont fait circuler sur le tarmac pour perturber la manœuvre de décollage.
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Dans une série de tweets, les activistes ont expliqué le sens de leur action : " L’objectif est de mettre en lumière l’absurdité du mode de vie des ultra-riches déconnectés de la réalité écologique ! Est-ce bien l’heure de brûler ces litres de kérosène pour fouler quelques secondes un tapis rouge ?". Extinction Rebellion rappelle au passage " qu’un avion sur 10 décollant sur le sol français est un jet privé, alors que leurs passagers émettent en moyenne 10 fois plus de gaz à effet de serre qu’en avion de ligne et 50 fois plus qu’en train."
Un peu plus loin au niveau du Port Pierre Canto, d'autres activistes affiliés au mouvement Attac engagé dans la lutte pour la justice fiscale ont déployé une banderole devant les yachts amarrés : "Ne laissons pas les ultra-riches détruire la planète". L'objectif, là aussi : "dénoncer le mode de vie des ultra-riches, irresponsable et déconnecté des enjeux du dérèglement climatique".
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La critique des acteurs
Malgré le statu quo apparent et l'absence de mesures concrètes qui obligeraient les élites à diminuer leur impact sur la planète, l'urgence environnementale et le dérèglement climatique semblent désormais dans toutes les têtes, y compris celles des élites culturelles. En témoigne d'ailleurs la diatribe d'Harrison Ford sur le plateau de France 2. Interrogé par Laurent Delahousse sur l'efficacité des mesures écologiques, l'interprète d'Han Solo dans Star Wars a répondu : « La science est la science, basée sur des faits, ce n’est pas une opinion. Il faut la respecter, elle nous a apporté les médicaments, elle nous a apporté l’espace. […] Écoutons la science, écoutons ce que nous dit le monde. Il nous dit qu’il est abusé, que nous détruisons la capacité de la nature à nous servir. »
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Cette prise de position forte, qui a eu un certain écho sur les réseaux sociaux, a toutefois été critiquée pour son ambivalence. En effet, Harrison Ford a déclaré au cours de la même interview qu'il était un grand passionné d'aviation et qu'il avait lui-même plusieurs avions...
Adèle Haenel politise sa démission
Ces critiques envers l'industrie cinématographique pour son manque de considération du problème environnemental ne sont pas nouvelles, mais elles sont de plus en plus fréquentes et nombreuses. Il y a une semaine, par le biais d'une lettre publiée dans Télérama, l'actrice française Adèle Haenel annonçait qu'elle se retirait du milieu, en partie pour cette raison. Elle accuse l'industrie cinématographique de "collaborer avec l'ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu'il est" mais aussi de "complaisance généralisée vis-à-vis des agresseurs sexuels".
En 2020, Adèle Haenel avait marqué la cérémonie des Césars en quittant la salle et en criant "La honte !" lors de la victoire de Roman Polanski. Aujourd'hui, elle déplore que peu de choses aient changé, et ce n'est pas la standing ovation de sept minutes faite à Johny Depp qui la contredira. Dans l'émission "C ce soir" ce jeudi 18 mai, le délégué général du festival a même raconté qu'il "n'était pas au courant" de l'affaire Johnny Depp, et qu'il "s'en foutait un peu".
L'actrice française estime qu'il "n'y a plus d'avenir dans le capitalisme" et que le cinéma se contente aujourd'hui de ne "surtout parler de rien". Pourtant, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la bataille contre le réchauffement climatique et l'effondrement de la biodiversité sont des défis tentaculaires dont le cinéma pourrait être l'allié. Celui-ci pourrait contribuer à déployer de nouveaux imaginaires et aider à la construction d'un futur plus égalitaire et plus soutenable. Après tout, n'est-ce pas dans les salles obscures que l'on fabrique les citoyens éclairés ?