Baile Funk : quand le rap français laisse les percussions brésiliennes de côté
Par Tim Levaché
Focus sur un genre musical encore peu exploité dans la scène francophone.
Des basses lourdes et vibrantes, des samples criards et des caisses claires qui imposent leur contre-temps entraînants : depuis les années 80, les favélas jonchés sur les hauteurs de Rio bougent au rythme de la Funk Carioca. Appelé Baile Funk à l’international, ce genre de musique électronique a peu à peu conquis les clubs de la planète entière grâce à son identité très marquée, et ce, jusqu’à s’inviter depuis la moitié des années 2010 dans un certain nombre de morceau de rap francophone. De Sadek à Damso en passant par Lazuli et Ninho, nombreux sont les artistes à avoir posé leur voix sur des percussions baile, mais rares sont ceux à les avoir porté comme un genre musical à part entière. Retour sur la relation entre le Baile Funk et le rap français et leur histoire sans lendemain.
Influences et Hybridation
Retour en 2020. Tandis que le printemps s’installe peu à peu derrière nos fenêtres, la période casanière oblige de nombreux artistes à s’occuper chez eux, comme à peu près tous les autres citoyens du monde occidental. Chez une certaine Bianca Costa, le meilleur moyen pour tuer le temps, c’est le chant. Avec sa série de vidéos « Bossa Trap » dévoilées tout au long de l’année 2020, la chanteuse porte de sa voix assurée un minutieux mélange entre les attributs du rap français actuel et ceux de sa musique natale : la musique brésilienne. Entre accords de guitare pincée fidèles à ceux de la Bossa Nova et percussions cadencées propres à la Funk Carioca, la chanteuse mêle reprises de tubes francophones sur des productions aux influences brésiliennes, et donne peu à peu naissance avec son ami et compositeur Danyl à un genre musical tout à fait hybride. La machine Costa est lancée.
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Au même rythme que ses vues, streams et partages explosent en ligne, Bianca Costa amène un certain vent de fraîcheur : au beau milieu de ce raz-de-marré que connait le début des années 2020 avec la Drill, la chanteuse et rappeuse exploite elle aussi un genre de percussions qui jouent avec les contre-temps. Pourtant, loin des attributs explosifs voire menaçants des percussions Drill, celles du Baile Funk exploitées par Bianca Costa lui permettent de faire de sa musique une proposition unique sur la scène francophone, et tout en construisant sa renommée, l’artiste en profite pour donner un sacré coup de projecteur aux percussions si caractéristiques des Favelas de Rio.
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Issue des bidonvilles perchés sur la capitale culturelle brésilienne, la Funk Carioca porte dans sa musique l’étendard d’une génération à part. Née dans les années 80 et grandement popularisée dans les années 90, ce genre est né de la rencontre entre la funk écoutée localement et la musique Miami Bass, un genre de musique électronique très populaire sur la côte sud des États-Unis. La Funk carioca, on l’écoute et la danse dans des Baile : des soirées organisées au sein même des Favelas ou les habitants célèbrent ensemble jusqu’au bout de la nuit. Au fil des années, la Carioca s’exporte à travers les clubs du pays et du continent, et ce, jusqu’à traverser les océans : à l’international, le genre se fait appeler Baile, du nom de ses soirées, et connaît un réel succès dans les clubs. Et ça, c’est certes grâce à une musique hautement entraînante et calibrée pour la fête, mais aussi grâce à l’identité forte qui l’entoure : le Baile Funk porte dans ses sonorités les bouffées d’oxygène festives d’une population hautement précarisée, et devient peu à peu le porte étendard culturel d’un des bidonville les plus populaire de la planète. Alors une fois arrivée à leurs oreilles durant les années 2010, cette image va résonner chez un bon nombre d’artistes occidentaux, et notamment chez les rappeurs francophone en quête d’une nouvelle exploration musicale.
Danse expéditive
Deux années avant les premiers morceaux de Bianca Costa, soit en 2018, une vague assez peu remarquée s’étalait gentiment sur le rap francophone. Cette vague, c’est celle du Baile Funk et de ses percussions si caractéristiques : comme pour faire patienter ses fans entre ses deux albums auréolés de succès « Ipséité » et « Lithopédion », le rappeur belge Damso dévoilait assez sobrement un single qui avait lui aussi fait le tour des clubs et des boîtes de nuits francophones, « Tieksvie ». Sur une production Funk Carioca signée Benjay, le titre aux 26 millions de streams Spotify a lui aussi connu un intense coup d’éclat, et a hissé le genre des favelas tout en haut des charts belges et français.
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Et ce qui apparaît comme une coïncidence assez amusante, c’est qu’une semaine seulement avant cette sortie, un certain Ninho s’alliait au prince de l’afro-trap MHD sur l’album compilation « Game Over », et bien évidemment, c’était pour donner naissance à un autre hit du rap francophone qui s’attribue lui aussi les percussions du Baile Funk. Avec ses samples de voix caractéristiques, ses caisses claires breakées et ses basses lourdes, le morceau respecte assez justement l’esprit originel de la musique Funk Carioca. En mars 2018, le rap français semble donc se mettre à adopter progressivement ces influences au sein de ses propositions.
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A la fin de l’été, Sadek suit lui aussi cette mouvance importante et décide d’explorer les sonorités du Baile non pas sur un Single, mais sur un album tout entier. Son projet Johnny De Janeiro enfonce donc le clou : le rap français semble s’être allié avec les sonorités des favélas brésiliennes, et ce, pour de bon. Mais, il y a un mais.
Si l’année 2018 est le témoin de l’apparition de dizaines de morceaux fusion, les nombreuses propositions pourtant appréciées et remarquées ne suffiront pas à imposer la rencontre du rap français et du Baile Funk comme un sous-genre musical à part entière en France. Déjà, parce que les attributs du Baile Funk ne sont que présents dans les instrumentales : les rappeurs ne reprennent pas les codes vocaux de la musique brésilienne, mais appliquent quasiment systématiquement leurs phrasés habituels sur d’autres productions, tout simplement. Par ailleurs, comme un effet de mode certainement provoqué par l’imagerie souvent romantisée des quartiers populaires de Rio, les rappeurs semblent avoir adopté la musique du Brésil grâce à une tendance, que décrit bien le rappeur Abou Tall dans un dossier publié sur Backpackerz, toujours en 2018 : « Il y a une imagerie qui rend le funk carioca hype parce qu’il y a des éléments qui fascinent les rappeurs : les milieux de gangsters, la mafia… Le Brésil et ses favelas, c’est un haut lieu du banditisme, ça crée une certaine fascination auprès des jeunes. Cette imagerie violente est aussi caractéristique du baile, le genre étant né dans les favelas ». Toujours dans ce même dossier, Robin Vincent, ancien animateur de l’émission Jetlag sur OKLM Radio, ajoutait à ça : « L’imagerie compte plus que la musique : certains rappeurs reprennent un peu les codes, ils vont jouer avec sans aller plus loin ». Des prises de paroles qui éclaircissent donc quelques potentielles raisons de l’essoufflement progressif de ces morceaux fusion à la fin des années 2010.
Car si ces propositions se multipliaient en 2018, rares sont aujourd’hui les artistes à s’approprier les percussions Baile dans leur musique. En 2023, Bianca Costa apparaît donc comme l’une des seules porte-étendard du genre en France après avoir sorti des singles qui défendent ardemment la musique de son pays d’origine, évidemment accompagnée par Lazuli, rappeuse et chanteuse qui a modernisé les percussions Tamborzao, les plus caractéristiques du genre Funk Carioca, dans une musique fidèle à l’énergie festive et explosive de celle des favélas. Alors souhaitons que ce nouveau rap français des années 2020 continue de faire naître de plus en plus de sous-genres, et qu’au milieu de cette belle effervescence, il réserve au Baile Funk et à ses percussions si reconnues une place de choix.