En 2060, un Américain sur trois sera d’origine hispanique. Par leur nombre et leur démographie, les Latinos changent peu à peu le visage des États-Unis. Longtemps considérés comme des citoyens de seconde zone, leur vote pourrait pourtant faire basculer l’élection présidentielle.
Juchée sur la pointe occidentale du Texas, El Paso (“Le Pas” en espagnol) est une ville frontière, carrefour entre deux univers. Au sud, de l’autre côté du Rio Grande, la ville mexicaine de Ciudad Juárez oppose ses maisons basses aux buildings anguleux d’El Paso la texane. Deux métropoles que tout oppose, deux mondes à bout portant.
Tristement célèbre pour ses taux d’homicides records, Juárez a longtemps été considérée comme la “capitale mondiale du meurtre”. A l’inverse, El Paso se classe régulièrement parmi les villes les plus sûres des Etats Unis. Plus de deux tiers de sa population est d’origine hispanique.
Depuis le centre ville d’El Paso, il faut moins de quinze minutes de marche pour atteindre la frontière. Ce pont (l’un des quatre qui relient les deux villes) d’à peine 400 mètres de long, accueille un flot ininterrompu de voitures et de piétons. Chaque jour, des milliers de mexicains traversent la frontière pour aller travailler dans les cuisines, les hôtels, les bureaux d’El Paso.
Ceux qui viennent de plus loin, qui n’ont pas le bon passeport, ni le bon permis de travail tentent leur chance hors des passages officiels. George est d’origine apache, marié à une mexicaine. Pour lui, rien ne peut stopper l’immigration illégale :
Selon bureau du recensement U.S Census, les hispaniques sont déjà près de 57 millions à vivre sur le sol américain. Ce qui fait des États-Unis le pays le plus hispanique au monde après le Mexique. En 2060, ils seront 119 millions, soit un peu moins d’un américain sur trois .
“Tout le monde aime la cuisine mexicaine !”
Luis Castañeda est né côté américain. “Born and raised in El Paso”. Il est cuisinier dans l’un des nombreux restaurants mexicains qui bordent la frontière. Pour lui, les latinos ont déjà depuis bien longtemps changé le visage de l’Amérique.
Annuciation House
A seulement dix “blocks” de la frontière, Annunciation House accompagne les migrants depuis 1978. Financée par des dons, elle accueille jusqu’à 500 personnes par semaine dans ses quatre immeuble d’El Paso. “Ces derniers mois, les flux sont considérables”, constate Ruben Garcia, le directeur de la structure.
Pour lui aussi, les hispaniques ont déjà changé le visage de l’Amérique. Les familles qu’il accueille arrivent totalement démunies, mais portent avec elles leur culture, leur jeunesse et une furieuse envie de devenir “de bons américains”.
Bâtie à travers les siècles sur sa mixité et sa diversité, El Paso ne connaît pas vraiment de problèmes de racisme. Mais Rupert note l’inquiétude de la communauté hispanique face au sentiment anti-migrants qui grandit, flatté par le discours de Donald Trump :
Notre nation est un produit de l’immigration. A l’exception des amérindiens, nous venons tous d’ailleurs [...] Dans le fond, les gens n’ont pas vraiment peur de l’immigration, ils ont peur de ne pas trouver leur place au sein de l’économie. Et Donald Trump joue sur ces peurs. Dans quelques siècles, on se dira que ce personnage n’était qu’une farce.
Le géant endormi
Avec ses 27 millions d’électeurs, le vote des latinos constitue un enjeu central de la campagne présidentielle. Ce sera sans doute la botte secrète d’Hillary Clinton. Selon un sondage publié fin septembre dans le Wall Street Journal, c’est aux latinos-américains qu’elle devrait son avance sur Donald Trump. 65% d’entre eux voteraient pour la candidate démocrate. 17% seulement pour son adversaire républicain.
Il faut dire que malgré ses efforts répétés pour séduire l’électorat hispanique, Donald Trump paye ses déclarations à l’emporte pièce à l’adresse de cette communauté. Le magnat de l’immobilier n’avait pas hésité à accuser les mexicains illégaux d’être “des violeurs et des criminels”.
Le genre de déclarations qui n'inspire que de l'indifférence à Jaime, élève ingénieur qui rêve de créer un jour son entreprise de tourisme spatial :
Trump n’a aucune preuve de ce qu’il avance, il cherche juste un écho médiatique. Je vais voter pour le candidat libertarien Gary Johnson (ancien gouverneur du Nouveau Mexique NDLR)
En se mettant à dos une bonne partie de la communauté hispanique, Donald Trump sera peut-être malgré lui, le meilleur rempart contre l’abstention.