Les Babyvoices : petite histoire des voix aiguës qui inondent le rap français
Par Tim Levaché
Focus sur une pratique installée depuis la fin des années 2010.
Depuis l’explosion de Playboi Carti et ses morceaux aux allures de phénomènes, un attribut bien particulier de sa musique s’est exporté aux quatre coins du rap occidental depuis la fin des années 2010. En élevant leurs mélodies d’une octave ou plus, bon nombre d’artistes ont fait de leur Babyvoice l’un des atouts les plus impactant de leur musique : de La Fève à Kekra en passant par Sadandsolo, tous semblent avoir fait de leur voix un instrument à la conquête des fréquences les plus aiguës. Focus sur une pratique déjà installée dans de nombreux sous-genres de la scène rap francophone.
Éclosion américaine
Tout part d’un mélange de spontanéité et d’une grosse dose de folie. Avec cette fougue qui le caractérise si bien, un certain Jordan Terrel Carter fait parler de lui depuis quelques années, notamment grâce à son nom de scène. D’abord appelé Sir Cartier, l’artiste partage sa première mixtape en 2012 : l’originaire d’atlanta propose alors logiquement des morceaux aux accents trap aussi appuyés que maîtrisés. Pourtant, sa musique est loin d’être arrivée à maturation : en abandonnant son pseudo pour celui de Playboi carti, l’artiste va se réinventer pour la première fois avec sa première mixtape éponyme, dévoilée en 2017. Avec cette nouvelle identité émerge une nouvelle musique : ses mélodies apparaissent comme plus aériennes, ses productions plus vaporeuses, et ses basses plus détonantes. Fortement impacté par les sonorités cloud qui se sont imposées à la moitié des années 2010 comme un genre musical à part entière dans les scènes américaines, le rappeur colorie son imaginaire de couleurs vives et chaudes, et dévoile une voix bien plus légère et aiguë que celle qui glissait sur ses premier morceaux. Son track « Magnolia » aux airs de phénomène international est un bon marqueur de cette nouvelle identité : effets déformants, couleurs vives, basses saturées et mélodies nasillardes : Carti a fait de sa musique l’une des plus innovante de la scène rap américaine.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Ce succès à plus de 600 millions de streams, il le doit évidemment à son instrumentale composée par le talent Pi’erre Bourne, rappeur et producteur en grande partie responsable du succès de Playboi carti, mais aussi grâce à son utilisation si singulière de ses cordes vocales. En ne cessant de proposer des lignes mélodies aussi aïgues que ses adlibs (ambiances sonores de fond), Playboi Carti bâtit peu à peu sa patte vocale : l’avènement de la Babyvoice est proche.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Il faudra attendre encore 2 ans avec la sortie de l’emblématique « Die Lit » pour découvrir le morceau qui condense l’essence même de la Babyvoice. Avec « Flatbed Freestyle », Carti dévoile ici un flow tout à fait déroutant : entre rap mumble à l’articulation mâchée, pointes mélodies aiguës et diction nasillarde, bon nombre d’auditeurs et acteurs de l’industrie musicale américaine commencent à appeler ironiquement « Babyvoice » (soit littéralement voix de bébé) le nouveau flow du Playboi. Mais très vite, cette diction et ce phrasé particulier prennent des allures de phénomènes : présent sous une autre forme chez Lil Uzi Vert et bien d’autres artistes, les voix aiguës et nasillardes ont pris d’assaut le rap des états-unis. Et ça, c’est évidemment possible depuis l’union entre le rap, l’autotune et toutes sortes de plugs-ins modulant les voix des artistes : grâce à ces logiciels, les rappeurs US ont pu changer la nature de leur voix pour tester d’autres flow, mais aussi d’autres manières de chanter : avec la Babyvoice, leurs morceaux s’habillent désormais d’une voix aussi stupéfiante qu’entraînante, et séduit bon nombre d’auditeurs de la fin des années 2010.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Babyvoice en français
Rares sont les artistes à la musicalité aussi unique que celle de Sadandsolo. Parachuté dans la scène rap francophone début 2019 avec son premier clip « DKJ interlude », ses mélodies aériennes et vaporeuses notent déjà un attrait important pour le chant et les grandes envolées. Alors quand il dévoile son premier projet solo en 2020 après avoir distillé une bonne poignée de singles, le rappeur fait de cette voix aïgue l’ADN de sa musique : sa babyvoice caractéristique.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Fortement marqué par les morceaux de Playboi Carti et ses adlibs singuliers, Sadandsolo a fait de cette influence vocale l’un des atouts les plus importants de sa musique. En s’appropriant avec brio ces techniques et lignes vocales d’outre-atlantique, le rappeur a fait de sa voix une instrument capable de s’hisser dans les aigus et de tapisser les basses fréquences dans une même mesure. Comme il le déclarait lui même au micro de Grünt en novembre dernier, sa manière de jouer avec l’autotune joue un grand rôle dans son processus créatif : en chantant une note légèrement fausse, le logiciel se charge de la rétablir pour qu’elle soit juste, et c’est ça qui donne à sa voix cette identité si caractéristique. Comme ses précédents homologues américains, Sadandsolo a lui aussi construit, pas à pas, sa propre Babyvoice, avec laquelle il continue de jongler dans ses derniers morceaux. S’il en est l’un des meilleurs représentant en France, Sadandsolo n’est évidemment pas le seul a avoir travaillé sa voix pour lui donner cette identité si unique.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Dès son installation en 2020, Khali avait de quoi surprendre le public francophone. Avec son premier projet « Palmer Wild Story » qui conte les histoire qu’il vit dans son quartier en banlieue de Bordeaux, le rappeur installe au fil des morceaux sa Babyvoice : cette voix si reconnaissable, aussi aiguë que désarticulée, qui porte avec un vent de fraîcheur certain la musique d’un artiste au talent mesurable. Lui aussi fortement influencé par les rappeurs issus des états-unis, il a travaillé et retravaillé sa diction depuis ses premiers morceaux en 2017 jusqu’à trouver son flow qui fera son identité : ça sera cette babyvoice iconique, et pas une autre. Comme il le dit si bien sur son morceau « No Photo », à la fin 2021 : « j’ai chanté toute une peine immense en forçant sur ma babyvoice ».
Si l’on revient sur cette précédente citation, c’est ce « ma » situé devant le « babyvoice » qui va se charger de porter le mot de la fin. Si la fin des années 2010 ont été le théâtre de l’explosion des Babyvoices aux Etats-unis et en France, il semble bon de rappeler que chaque babyvoice est unique : si elles partagent certes des caractéristiques communes entre la diction de différents artistes, leur façon de poser, leur voix et donc leur identité résulte d’un cheminement artistique long et fastidieux et ne se repose pas simplement sur une tendance, ou pire, un phénomène. Chaque Babyvoice est unique, alors pour le futur, souhaitons au rap francophone de continuer à arpenter avec brio ces fréquences aiguës et nasillardes que l’on aime tant.