Les Flammes : cette première édition est-elle une réussite ?

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Les Flammes : cette première édition est-elle une réussite ?

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Dinos - photo Les Flammes (DR)
Dinos - photo Les Flammes (DR)

On était à la première cérémonie des Flammes ce jeudi 11 mai 2023, voilà ce qu'on a pensé de cette soirée historique.

Évènement historique pour les uns, supercherie pour les autres, la première édition de la cérémonie des Flammes s'est déroulée ce jeudi 11 mai 2023 au théâtre du Châtelet à Paris. Avant cette date, beaucoup d'interrogations se sont posées au sujet de cette version rajeunie des Victoires de la Musique et des NRJ Music Awards : en a-t-on vraiment besoin ? Les organisateurs ont-ils les épaules pour porter un tel événement ? Tout le monde va-t-il jouer le jeu ? Comment composer avec les égos de chacun ? Où est passée l’agence Smile, qui était originellement associée à Booska-P et Yard lors de l’annonce de la création des flammes ? Quel sera le premier rappeur à insulter le jury ?

Pour répondre à toutes ces questions, nous avons eu la chance, l’honneur et le privilège d’assister à cette soirée qui fera date dans l’histoire de l’humanité -ça peut sembler exagéré, mais on parle quand même d’un moment où Mac Tyer a posé les 16 premières mesures de 93 Hardcore devant Jack Lang, pour un fan de rap français c’est l’équivalent d’un 20 juillet 1969.

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Les réussites

L’impact médiatique

Le principal enjeu de cette première édition était d’ancrer cet évènement dans l’esprit du public et des professionnels de l’industrie de la musique. Mission accomplie, puisque la grande majorité des médias traditionnels ont relayé l’évènement, diffusé des images de l’arrivée des artistes sur le tapis jaunâtre, communiqué le nom des vainqueurs, et contribué à imposer l’existence des Flammes comme une évidence pour tout le monde. Ce qui aurait pu rester une petite soirée fermée, destinée uniquement aux acteurs du monde du rap et aux médias dédiés à cette musique, s’est donc transformé en grande célébration médiatique. Booska-P et Yard marquent donc un point très important, et surtout, obtiennent l’assurance de pouvoir organiser une deuxième édition l’an prochain, avec l’objectif évident de pérenniser le rendez-vous sur des années voire des décennies.

Les artistes ont parfaitement joué le jeu

Forcément, puisqu’ils étaient invités, nominés, et célébrés, mais ceux qui se souviennent des tentatives de cérémonie dédiées au rap il y a 15 ans (Trace Urban, L’année du hip-hop) savent que ce n’était pas gagné d’avance. De leur arrivée sur le tapis à leurs performances sur scène, on a bien senti que tous les artistes présents étaient contents d’être là, et investis dans la réussite de cette soirée. Accueillis comme des superstars, là où on aurait tendance à les traiter comme des artistes de seconde zone aux Victoires de la Musique, ils ont eu toute la place pour célébrer leur réussite, sans que les égos des uns et des autres ne viennent entacher la fête.

Il faudra cependant un peu plus de temps avant de pouvoir affirmer que Les Flammes sont bien acceptées par l’ensemble du game. Que ce soit par frustration d’avoir été écartés du vote, par pur esprit de contradiction, ou pour des raisons plus profondes, il est inévitable que certains artistes finissent par pisser sur la flamme. C’est le jeu, certains diront même que c’est sain, mais jusqu’ici, on ne peut que saluer l’esprit général des participants, franchement positif.

La représentation d’un panorama musical très large

De nombreux médias généralistes ont évoqué Les Flammes en les comparant aux Victoires du Rap, un raccourci logique, mais forcément réducteur, et même trompeur quand on jette un œil au palmarès complet de la soirée. Évidemment, le rap sous toutes ses formes était à l’honneur, mais autour, tout un spectre musical a également été célébré : la musique caribéenne, le RnB, la rumba congolaise, la nouvelle pop, etc. Autour de Mac Tyer, Dinos, du Rat Luciano, de Sch ou de Shay, on a donc vu ou entendu Fally Ipupa, Ronisia, Monsieur Nov, Kayna Samet, Enchantée Julia, et tant d’autres. Ces sonorités, peu (ou mal) traitées par les autres institutions, ont donc elles aussi gagné un nouvel espace de représentation et de célébration. Sur ce point, c’est une réussite incontestable : si le rap considère qu’il a aujourd’hui gagné, il ne fait pas l’erreur qu’ont fait ses aînés en snobant les genres musicaux qui l’ont nourri.

Le traitement de la dimension historique du rap français

Une cérémonie qui célèbre les grands vainqueurs de l’ère du streaming aurait tranquillement pu se concentrer sur Tiakola, Gazo et Ziak, sans trop se poser la question de la transmission de l’histoire du rap français aux nouvelles générations d’auditeurs. Pourtant, tout a été fait pour rendre hommage aux pionniers ou aux vétérans : la performance de Mac Tyer, la présence de Mokobé sur scène pour remettre une récompense, du Ministère Amer dans la salle, les name-droppings de Fif en fin de soirée (NTM, Assassin, etc), et surtout le prix décerné au Rat Luciano. Cette “flamme éternelle” est une belle surprise, le marseillais, très discret, n’étant pas le profil le plus attendu au milieu d’une cérémonie aussi médiatique. Finalement, son nom met tout le monde d’accord, fait plaisir aux deux voire trois premières générations d’auditeurs de rap, et donne du crédit à l’évènement.

Un public qui vote intelligemment

C’est l’une des grosses surprises de la soirée : la victoire de Josman dans la catégorie morceau de l’année, avec le titre Intro. Opposé à des mastodontes, l’auteur de M.A.N a pu compter sur une fan-base très impliquée, prouvant qu’un rappeur entretenant une relation solide avec ses auditeurs pouvait rivaliser sans peine avec des artistes bien plus médiatiques. On apprécie donc de voir que le vote du public a réellement servi à quelque chose, et surtout, qu’il a exprimé une voix différente de celle du jury (qui aurait probablement sacré Tiakola).

Les points qui posent encore question

La centralisation

Il était inévitable que la première édition des Flammes se déroule à Paris, et on ne va pas se mentir, ça nous a bien arrangé. Cependant, après des décennies à subir le monopole des scènes d’Ile-de-France et de Marseille, le rap français a enfin fait tomber ses propres frontières. Aujourd’hui, un rappeur peut venir de Toulouse, Caen, Lyon, Le Havre, Nice ou Roubaix, et avoir les mêmes chances de percer qu’un parisien ou un sevranais. Ce décloisonnement a même fait sauter les frontières géographiques : on ne compte plus les rappeurs belges, suisses, marocains, québécois, qui viennent chercher leurs auditeurs en France.

Si Paris reste le centre névralgique de l’industrie de la musique, il serait intéressant de suivre la politique des Flammes à ce sujet. La cérémonie se déroulera-t-elle toujours à Paris, ou accompagnera-t-elle le rap français dans sa conquête des territoires, en allant rendre visite aux publics de Marseille, Lyon, Lille, voire Bruxelles ? Ce serait un beau message adressé au public de Province, mais ça compliquerait beaucoup les choses pour les professionnels de l’industrie de la musique, qui ne pourraient pas tous se déplacer.

93 Hardcore sans Mac Kregor

Entendre les premières notes de 93 Hardcore sur la scène du theâtre du Chatelet a fait chaud au coeur à tous les spectateurs. C’est évidemment l’un des moments importants de la soirée, le titre de Tandem étant devenu au fil du temps l’un des plus grands classiques du rap français. On ne boude pas notre plaisir, mais tout au long de la performance du rappeur, on a espéré voir Mac Kregor débarquer sur scène pour enchaîner sur la suite du morceau. On n’a plus vu les deux ex-membres de Tandem ensemble depuis de nombreuses années, et on ne connaît pas l’état de leurs relations, mais une réunion le temps d’un morceau aurait transformé ce beau clin d'œil en véritable moment historique. Au milieu d’une cérémonie qui a beaucoup insisté sur l’importance de tous aller dans le même sens, le symbole aurait été très fort.

La confusion autour du terme “urbain”

Là c’est vraiment pour chipoter, mais il va falloir se décider. La cérémonie s’ouvre sur un discours de Fary, qui pose tout de suite les bases : “on va arrêter d’utiliser le terme urbain”. Il va ensuite prononcer 16 fois le mot en moins de huit minutes, et conclure sur “la première cérémonie dédiée aux cultures urbaines”. Finalement, le titre officiel de la soirée sera “la cérémonie des cultures populaires”, mais on va se retrouver avec le même type de problématique : jusqu’ici, on se demandait ce qui faisait entrer un artiste entre dans la catégorie “musique urbaine”, outre son origine sociale, géographique ou sa couleur de peau (pourquoi y intégrer Aya Nakamura et pas Angèle ? pourquoi Benab et pas Benjamin Biolay ?). A partir de maintenant, on va se demander ce qui permet de classer un chanteur dans la “culture urbaine”, en dehors de son origine sociale, géographique ou de sa couleur de peau. En plus, les relous vont demander si un artiste qui arrive dans une voiture qui vaut le prix d’une maison, et est habillé de la tête aux pieds par une marque de luxe, est toujours représentant d’une culture populaire, mais à un moment donné, il faut peut-être juste arrêter de se poser des questions.

Comment rendre la cérémonie encore meilleure en 2024 ?

L’organisation

Ceux qui ont suivi la cérémonie sur leur écran n’ont pas pu s’en rendre compte, mais sur place, c’était un beau bordel. Des centaines de personnes ont passé quasiment deux heures à l’extérieur du théâtre en attendant de pouvoir entrer, sans comprendre vers quelle file se diriger, ni à qui s’adresser pour obtenir des renseignements. Ça ne concerne que quelques centaines de personnes avec le privilège d’être invitées, mais ça explique beaucoup de choses, en particulier l’ambiance très froide ressentie dans les vidéos de la cérémonie.

La présence de nombreux sièges inoccupés est en effet dûe à cette désorganisation générale, en plus du fait que de nombreuses places étaient bloquées pour “des besoins de captation”. Côté spectateurs, la froideur s’explique également par des raisons techniques : les étages supérieurs ont dû composer avec un son dégradé. Si les blagues de Fadily Camara n’ont pas provoqué de vagues de rires, ce n’est pas parce que son humour n’a pas fonctionné, mais simplement parce que les spectateurs n’entendaient pas bien ses mots. On peut aussi citer toutes ces séquences que les téléspectateurs ont pu voir en coulisses : dans la salle, on ne comprenait pas ce qu’il se passait, parce qu’on avait uniquement le son. Sans images, et en comprenant un mot sur deux, difficile de se fondre dans l’ambiance.

La présence de Jack Lang

Mais putain, pourquoi ??

Les autres disciplines du hip-hop

Le mot hip-hop a été utilisé à toutes les sauces au cours de la soirée, majoritairement en tant que synonyme de rap. Hormis la musique, les autres disciplines du mouvement (graffiti, danse, DJing) n’ont malheureusement pas été abordées. Certes, en comparaison avec les années 90, le graffiti ou la danse ont un impact culturel bien moindre aujourd’hui, mais dans une cérémonie qui s’attache à rendre hommage aux pionniers et aux vétérans du mouvement, accorder quelques minutes à ces disciplines n’aurait pas été de trop. On espère donc que la scène des Flammes 2024 laissera de la place à d’autres types d’artistes, aussi bien ceux qui savent tourner sur la tête que ceux qui savent transformer un mur de briques en œuvre d’art avec 2 bombes de peinture et un poska.

Le Bilan de la soirée

Cette première édition est sans aucun doute possible une réussite pour les organisateurs : la cérémonie a eu un gros impact médiatique, les artistes ont tous joué le jeu à fond, et on a même eu droit à des exclusivités en direct. Le line-up de la soirée constitue une bonne surprise, avec beaucoup de représentants de la nouvelle génération (Kerchak, Ziak), signe du renouvellement constant de la scène rap en France, de très grosses têtes d’affiche (Damso, Sch, Dadju), et des vétérans venus témoigner de la longévité de cette culture (Mac Tyer, Disiz, Le Rat Luciano). Cette soirée d’auto-célébration s’est déroulée dans un très bon état d’esprit général, et si une première édition aussi complexe à mettre en place allait forcément être soumise à la critique (Jack Lang, sérieusement ?), nul doute que le bilan est positif du côté de Booska-P et Yard. Les deux partenaires ont posé les bases d’une cérémonie qui a toutes les chances de devenir un rendez-vous incontournable pendant de nombreuses années, on se donne donc rendez-vous en 2024 pour une deuxième édition encore meilleure.