Les hommes de l'ombre du rap (3/3) : "Sanka, c’est le meilleur backeur de France"

Publicité

Les hommes de l'ombre du rap (3/3) : "Sanka, c’est le meilleur backeur de France"

Par
Georgio et Sanka
Georgio et Sanka
© Radio France - Alexandre Aflalo et Benjamin Boukriche

Il y en a un à chaque concert de rap. Au-delà de finir les phrases du rappeur, le backeur harangue la foule, lance des "pogos", saute partout… Mais il doit aussi savoir s’effacer pour laisser la place à la tête d’affiche. Une posture d’équilibriste pas facile à trouver.

Dans la vie ou sur scène, Georgio et Sanka sont inséparables. Mouv’ a fait le choix de rencontrer Georges et Maël – de leurs vrais prénoms – séparément. Dans un café de la place de la République, à Paris, ils se livrent sur leur vision du couple rappeur-backeur. Entretien croisé.

Mouv’ : Comment vous êtes-vous retrouvés pour la première fois ensemble, sur scène ?

Publicité

Georgio : C’est en 2012, au bar Les Combustibles, à Paris. C’est mon tout premier concert. A cette époque, je suis fan de Sefyu. Dans ses concerts, il a toujours deux backeurs : RR et Baba. Et moi je veux trop faire pareil ! Donc je demande à Diabi, l’ingénieur du son qui a enregistré mon premier projet, et Sanka de me backer.

Sanka : On se connaît depuis le collège avec Georges. On était en sport-études basket ensemble. A l’époque de son premier concert, j’habite encore à Rennes. Quand je viens à Paris, je squatte chez lui, à Marx-Dormoy. Un jour, on est chez lui, et il me demande : "T’es chaud de me backer ?" Je dis oui tout de suite. Je kiffe le concept.

Georgio : Je choisis Sanka parce qu’on est très proches tous les deux, et parce qu’il rappe lui aussi.

Sanka : Je pense qu’à ce moment, Georges ne sait pas trop comment faire, ni comment ça se passe un concert (il sourit) !

Georgio : Il s’avère que Diabi foutait trop le bordel sur scène (il se marre) ! Donc on lui a dit d’aller derrière les platines, et j’ai gardé Sanka comme seul backeur.

Au bout de combien de temps vous sentez qu’une alchimie se crée entre vous deux sur scène ?

Georgio : Je pense qu’il y a eu un déclic en 2014, au Printemps de Bourges.

Sanka : Je me rappelle. C’était un jour horrible ! On a tous les deux 40°C de fièvre. On rate notre train, donc on fait le trajet Paris-Bourges en taxi. Dans la voiture, on ne se parle pas, on est épuisés. Quand on arrive au concert, on n’a pas fait les balances [le réglage du son, ndlr] donc on y va en improvisant… Et sur scène, on brûle tout ! A tel point que les programmateurs du festival sont venus nous remercier après le concert. A ce moment-là, avec Georges, on comprend que, même malades, on est complémentaires sur scène. Pas besoin de parler. On se laisse porter par le public.

Notre série s’appelle "Les hommes de l’ombre du rap." Sanka, comment tu vis le fait d’être un homme de l’ombre ?

Sanka : Honnêtement, super bien. Des fois… (il réfléchit) j’ai l’impression que le public me voit comme un rappeur qui essaie d’avoir une carrière solo, mais qui n’y arrive pas. Mais pour moi, c’est une histoire d’équipe. J’avance avec mon pote Georges. J’ai aucune frustration. Je ne suis pas avec lui par intérêt.

Georgio : Le rôle du backeur est très ingrat. Un backeur qui prend trop de place, c’est pas bon, ni pour le concert, ni pour le rappeur. Il peut tout déséquilibrer. Mais, en même temps, le backeur doit apporter sa présence au concert. Il doit donc marcher sur un fil sans que ça ne se sente. Et Sanka, c’est incroyable à quel point il maîtrise ça. Il est toujours à sa place ! Il parvient à être dans la lumière pendant un morceau, puis s’effacer à celui d’après. C’est une performance incroyable.

Sanka : C’est super touchant (ému). C’est exactement comme ça que je conçois l’amitié. Pour moi, être backeur c’est pas vraiment un travail. Je le fais en tant qu’ami de Georges. J’ai envie que ça marche pour nous deux, pas uniquement pour moi. Je sais que la reconnaissance viendra uniquement si je la mérite. Georgio : Sanka, c’est un peu comme le basketteur Steve Nash. C’est un joueur qui fait des passes et se met au service des autres… Mais attention, il a aussi été élu MVP (sourire en coin).

Sanka : (touché) Je trouve ça tellement juste. C’est mon joueur chouchou. Il me représente.

Quel est le rôle de Sanka dans un concert de Georgio ?

Georgio : C’est simple : si un jour sa carrière solo décolle, et qu’il ne peut plus venir en tournée avec moi, je ne reprendrai pas de backeur. Ce n’est pas le fait d’avoir un backeur qui m’intéresse. C’est d’avoir Sanka, avec tout ce qu’il peut proposer. Son énergie met beaucoup de relief dans mes concerts, donc c’est lui ou personne. Objectivement, je pense que Sanka, c’est le meilleur backeur en France.

Sanka : Si un jour je fais mon premier concert, c’est Georgio qui sera mon backeur. C’est de la logique. Et puis c’est trop marrant ! Ça veut dire qu’il y a une amitié pure entre nous. Il n’y a pas de honte.

Sanka a aussi une carrière solo. Il a sorti deux EP : Black Shaolin en 2016 et Bateau Bleu, avec Sheldon, en 2018. Comment gérer les tournées avec Georgio et une carrière solo en même temps ?

Sanka : C’est sûr que j’ai eu des moments de doute. Mais ce n’est pas par rapport aux autres, c’est du doute envers moi-même. Quand je suis en pleine tournée avec Georges, que je suis fatigué, il m’est arrivé de penser que je devrais prendre du temps pour mes projets personnels, de me demander si je vais continuer à backer. Mais deux heures plus tard, je me réveille de ma sieste, reposé, et je me rends compte que les deux sont compatibles. C’est juste une question d’organisation.

Georgio : Bateau Bleu était vraiment cool. Mais je n’ai aucune position sur sa carrière solo. Il la mène de son côté, et j’écoute ce qu’il fait comme n’importe quel amateur de rap. C’est un souci d’équilibre : comme on partage tous les concerts ensemble, c’est normal que je ne sois pas là dans sa carrière solo.

Sanka, est-ce que tu t’occupes de ta carrière solo lorsque tu es en tournée avec Georgio ?

Sanka : Au début, pendant le Bleu Noir Tour (en 2016), j’ai essayé d’écrire. Georges écrit pendant la tournée, donc je pensais que moi aussi je pouvais le faire. Mais il s’avère que j’ai du mal. Ce n’est pas ma musique à moi pendant la tournée, donc ce n’est pas évident d’être dans mon univers. Après un concert, je pourrais très bien prendre mon ordi, mettre mon casque, et écrire. Mais la tournée deviendrait longue. Et il y a un danger que ça provoque en moi de la frustration. Je préfère donc être 100 % concentré sur la tournée, puis m’occuper de ma musique quand j’ai le temps. Ça me permet aussi d’être moins stressé.

Comment se prépare une tournée ? Est-ce que Georgio décide tout seul, ou bien la décision est collective ?

Georgio : Environ un mois avant la sortie d’un album, j’envoie toutes les chansons à Sanka pour qu’il écoute et apprenne les paroles par cœur. Généralement, il connaît même les paroles mieux que moi (il sourit).

Sanka : C’est le moment que je préfère. J’écoute l’album, je ferme les yeux et j’essaie de visualiser ce que chaque titre donnera sur scène. J’adore ce moment parce qu’il définit toute la suite de la tournée.

Georgio : Ensuite, on répète dans un studio où il y a des grands miroirs, donc on met la musique et on commence à réfléchir aux mouvements que l’on va faire sur scène.

Sanka : A ce moment-là, on se demande : "Ce morceau, tu le vois comment ? Plutôt énergique ou pas ?" On discute de tout. Chacun apporte ses idées.

Georgio : La décision finale me revient toujours, parce que c’est mon concert, mais ma parole n’a pas plus de poids que celle de Sanka. Il a carrément son mot à dire ! Je ne ferais jamais quelque chose pour laquelle il n’est pas d’accord. Chacun est à l’écoute de l’autre.

Sur scène, vous avez donc une chorégraphie prévue ?

Georgio : On fonctionne avec ce qu’on appelle des "moments-clés", pendant lesquels on prévoit des gestes et des déplacements. Grâce à ça, le reste du temps, on peut se permettre d’improviser, puis de retomber sur nos pattes lors du prochain moment-clé.

Sanka : C’est comme dans les jeux vidéo, où il y a des checkpoints. Ça nous rassure, et ça permet, par exemple, à Georges de descendre dans le public quand il le sent. Moi, je le laisse faire, parce que je sais que cinq minutes plus tard, il y a un moment-clé où il va prendre la parole.

Est-ce qu’un backeur arrive à vivre de la musique ?

Sanka : Je suis intermittent du spectacle. Ça me permet d’accompagner Georges en tournée, de recevoir un salaire chaque mois, et de pouvoir me consacrer à ma musique à côté sans avoir trop de pression financière.

Georgio : Je travaille avec un tourneur qui s’appelle Bleu Citron. A chaque concert, il paie Sanka en cachets [rémunération forfaitaire des artistes, ndlr.]

Sanka : En tant qu’intermittent, je dois accumuler minimum 507 heures de travail dans une année pour toucher un salaire chaque mois. Avec les tournées de Georges, je remplis les conditions. Je n’ai jamais eu de problème à renouveler mon intermittence.

Comment envisagez-vous la suite de votre aventure ?

Georgio : A chaque fin de tournée, on se dit : "Prochain album, on repart !" Pour l’instant, je finis mon album, et ensuite j’envisagerai une tournée. Mais Sanka sera là.

Sanka : J’ai envie que ça marche pour Georges. Et j’ai envie de sortir mes projets ! Depuis l’album XX5 de Georgio (sorti en 2018), j’arrive à m’organiser. Mon rêve, ce serait de faire une grande tournée avec Georges et mon collectif, la 75ème Session, comme le Up in smoke tour de Dr Dre, Eminem et Snoop Dogg.

Propos recueillis par Benjamin Boukriche