
Focus sur les auditeurs / râleurs de la scène francophone.
Ils regrettent corps et âme l’époque de la Fonky Family, des freestyles filmés en 240p ou des battles de hip-hop sur des bon vieux morceaux du Wu-tang : ces auditeurs de rap réfractaire à toute innovation musicale ou presque, on les appelle les puristes. Que ce soit au cours d’une discussion musicale, d’une soirée bercée par des hits de trap française ou bien dans un espace commentaire, les puristes sont partout, et ne manquent jamais de pousser un bon coup de gueule sur cette nouvelle génération responsable de « la mort du rap français ». Enfin ça, c’était surtout dans les années 2000 et 2010 : depuis plusieurs années déjà, les puristes semblent occuper dans le paysage musical francophone un espace bien plus réduit. Alors les puristes du rap français auraient-ils disparus ? Allons prendre des nouvelles de ceux que l’on adore détester.
Parfois passagère, parfois tenace, elle a quelque chose d’aussi attristant que réconfortant. La nostalgie, c’est ce sentiment si spécial qui enjolive le passé, et qui nous ferait, le temps d’un instant seulement, presque regretter les années révolues. Pourtant, chez une partie des auditeurs de rap français, cette émotion paraît totalement indélébile : ce fameux « c’était mieux avant », c’est leur mot d’ordre, et la nostalgie d’un rap français aujourd’hui révolu, c’est leur obsession.
Bon. Il est vrai que cette mise en abîme, quelque peu exagérée, ne les mets pas tellement en valeur. Pourtant, leur cause peut paraître tout à fait noble : défendre le hip-hop, mère nourricière du rap français, et ses valeurs qui ont longtemps été discréditées, c’est une forme de militantisme musical assez juste. Et cette cause s’inscrit dans un contexte culturel bien particulier. Revenons en aux bases, à la fin des années 80.
Puristes : les origines
A l’époque, le rap est en pleine voie d’expansion dans la scène musicale francophone : grâce aux premiers pas de Lionel D, de la formation IAM et des sorties séduisantes de Dee Nasty, le genre venu tout droit des États-Unis fait de plus en plus parler de lui dans l’espace médiatique. Sa culture, c’est celle du tag, du breakdance, du baggy, celle du hip-hop. Jusqu’au début des années 90, le rap en france reste une pratique aussi codifiée qu’étrange et incomprise. Mais quelques années plus tard, le genre se détache peu à peu du hip-hop : la pratique du rap se popularise dans les rues de France, et grâce au travail d’artistes aussi fougueux que passionnés, se mue une musique plus ardente, portée par de revendications sociales marquées et un besoin de dénoncer injustices, discriminations et mises à l’écart subies dans les quartiers populaires.
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Alors le rap fait de plus en plus parler de lui, certes, mais c’est souvent (toujours) pour lui dresser un vilain portrait : violent, grossier, vulgaire ou dénué de toute musicalité, quelques mois seulement après sa réelle installation en France, le rap traîne déjà une image ternie par les médias et les acteurs de l’industrie musicale. Comme le rappelait si bien Rim’k dans une interview accordée à Booska-P début 2017 , les quelques passionnés qui se mettaient à écrire et rapper était vus comme des marginaux, adeptes d’un courant hip-hop mal compris, et souvent très peu pris aux sérieux : « Avant, les mecs qui rappaient c’était des fous. On les prenait pour des fous dans les quartiers. Tu vas rapper quoi, tu vas aller ou, tu vas faire quoi ? C’était pas valorisé, à la limite c’était vu comme un hobbie, c’est tout ». Incompris, le genre avait alors besoin d’auditeurs et passionnés prêts à défendre leur parole, leur musique et plus largement leur culture, à l’époque en opposition totale avec la musique populaire française des années 90. Les futurs puristes étaient nés.
Puristes : le starter pack
Il faudra attendre la fin des années 90 pour sentir le vent légèrement tourner. Avec la sortie du légendaire album de 113, Les princes de la ville, ses productions innovantes de DJ Medhi et ses rappeurs à la façon de poser aussi chargée d’attitude qu’accessible, le groupe apporte au rap en France la nouveauté dont il avait besoin. Le rap de 113 conte des histoires de vie touchantes, jongle entre une bonne dose d’ironie et de second degré, le tout, en dépeignant des quotidiens encore jamais vraiment contés dans lesquels beaucoup se reconnaissent. Une victoire de la musique et plus de 300 000 ventes plus tard, le rap français est dans une très bonne forme, et il le doit en grande partie aux travaux du groupe, qui a largement contribué à légitimer cette musique : en plus de squatter les top charts et de vendre des centaines de milliers d’albums, le rap est capable de plaire à un public très large et diversifié. Essai transformé.
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Alors en plein âge d’or à la fin des années 90 et au début des années 2000, le rap en france semble avoir de très belles années devant lui. Et pourtant : à la fin des années 2000, le rap français connaît une crise majeure, celle du disque. Affaibli par une vente d’albums en constante baisse, la santé du genre est au plus bas : tandis que les grands noms comme Booba, Diam’s ou Rohff occupent une place majeure, celle laissée aux artistes en développement est infime, et les propositions, rares. Le rap tourne en rond, et son public s’en détache de plus en plus. Mais une partie de l’audimat ne tourne pas la page . Ceux qui restent, et qui continuent de croire en cette musique, c’est en partie ceux qui la défendent depuis ses débuts : ceux que IAM et NTM a fait rêver, ceux qui vibrent encore pour le hip-hop et sa culture. Comme les derniers défenseurs d’un genre en perdition, les puristes commencent à se répandre peu à peu sur les quelques blogs que compte l’internet de l’époque, avec le souvenir d’un âge d’or aujourd’hui révolu. « Le rap est mort », c’est leur cri de ralliement, et à l’époque, la question se pose en effet : au vu de sa mauvaise santé, quel avenir se dresse pour le rap en France ?
La fracture de l'autotune
Pour les puristes, la fin des années 2000 prend des allures de cauchemar. Alors que le rap se relève progressivement du choc qu’il vient de subir, une petite révolution s’abat sur l’hexagone. Toujours avec un vent d’outre mer notamment porté par T-pain, l’autotune, ce logiciel de correction de voix, prend ses marques et séduit le rap français : des grandes têtes d’affiche aux jeunes chargés d’ambition, tous s’en régalent et donnent naissance à une musique plus chantée, plus électrisée. Et ce n’est pas tout : sur ces mêmes albums qui adoptent l’auto-tune, comme 0.9 de Booba ou encore Le code de l’honneur de Rohff, un nouveau genre de rythmiques s’installe : la Trap.
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C’en est trop pour les défenseurs originels du hip-hop. Pour eux, l’arrivée massive de la trap au début des années 2010 signe pour de bon l’abandon des valeurs du rap et de son identité musicale, et ils n’ont pas tord : si le boom-bap est encore assez présent, il s’efface peu à peu pour laisser place à ces nouvelles sonorités croisées avec des influences électroniques. Le rap français est en pleine mutation, et les puristes se doivent de s’élever contre ce non-respect total : sous les commentaires des premiers clips, dans les boutiques de CD et vinyles ou encore autour d’une bonne vielle battle de break, les puristes sont de plus en plus nombreux, et élèvent la voix. C’est à cette même période qu’ils prendront d’ailleurs ce surnom de « puristes », utilisé péjorativement pour dénoncer leur comportement réfractaire à toute innovation. Alors moqués par des ados de la nouvelle génération souvent âgés d’une dizaine d’années de moins, les puristes font front, et leur verdict est clair : après un second enterrement, le rap est mort, et cette fois, pour de bon. Pour de bon ?
Nouveaux artistes, nouveaux puristes
Très présents dans la scène rap français à la fin des années 2000 et jusqu’à la moitié des années 2010, période ou le rap français est en pleine reconstruction progressive, les puristes sont souvent au cœur d’un clivage entre les auditeurs : le débat apparaît comme scindé entre ceux qui défendent les nouvelles propositions, et ceux qui les discréditent. Mais pourtant, depuis la fin des années 2010, plus rien. Les puristes qui défendaient becs et ongle leur culture semblent occuper dans l’espace musical francophone une place bien moins importante, et ça, ça peut s’expliquer part un facteur marquant : le rap a conquis le monde. Avec l’arrivée des plateformes de streaming au début des années 2010, le genre musical est devenu très accessible : que ce soit pour ses artistes qui peuvent désormais librement partager leur musique à des millions d’auditeurs, mais aussi pour le public qui peut avoir accès en deux clics à une avalanche de propositions musicales. A la moitié des années 2010, le rap prend des airs de phénomène : PNL, Jul, SCH, Hamza et tant d’autres vont porter le genre pour le placer peu à peu comme la musique la plus écoutée en France, la plus certifiée, et transformer le style musical paria de l’industrie en sa plus grande star (à 33 ans, JuL est le deuxième artiste français a avoir obtenu plus de 100 singles d’or, après Ninho).
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Alors désormais plongée au milieu de ces centaines de milliers d’auditeurs mensuels, la parole des puristes, évidemment réfractaires à ces nouvelles propositions musicales, semble désormais complètement noyée. Même pour le cas de Jul : longtemps discriminé et jugé pour sa musique, il a désormais conquis l’industrie musicale, et les avis négatifs sur sa musique semblent aujourd’hui complètement dépassés. Alors, les puristes auraient-ils disparus ? Et bien en ce qui concerne les puristes originaux, ceux de l’époque de l’arrivée de l’autotune, il semblerait bien que oui.
Pourtant, parmi le lot d’auditeurs a voir pris le virage de la transformation du rap courant des années 2010, certains ne semblent clairement pas avoir suivi les propositions de la nouvelle génération d’artistes. Grâce à cet outil aussi fabuleux que dévastateur que l’on appelle Twitter, une nouvelle vague de haters (directs héritiers des puristes) s’est déversée sur bon nombre des artistes à avoir adopté le courant plugg ou encore DMV. Le cas Serane en est par exemple un bon indicateur : avec son flow chuchoté, ses placements décalés et ses instrumentales minimalistes, le rappeur parisien s’est attiré les foudres d’un public réfractaire à ses propositions, jugées « à contre-temps ». Rowjay, le rappeur canadien aussi adepte des placements décalés, a également reçu de nombreuses critiques, auxquelles il répond simplement en story Instagram « hip- hooooooop » avec une bonne dose d’emojis et de sarcasme.
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Alors, pour répondre à notre postulat de base, il semblerait que les défenseurs originels des valeurs hip-hop aient finalement lâché l’affaire : le rap s’est mué, au fil des dernières années, en un monstre musical bien trop hideux pour leurs oreilles bercées aux bonnes vielles rythmiques New-Yorkaises. Pourtant, les avis négatifs à l’encontre des nouvelles scènes et les nouveaux courants du rap français ne sont pas inexistants, bien au contraire : ces innovations de placements, de productions et de récits s’attirent tout autant voire plus les foudre d’une partie d’un auditorat qui fait front. Quoi qu’il en soit, le constat paraît évident : peu importe les nouvelles mutations que connaît le rap francophone, des voix seront toujours là pour s’y opposer farouchement, et ça, finalement, c’est leur problème.