Pourquoi "The Wire" continue à influencer le rap français ?

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Pourquoi "The Wire" continue à influencer le rap français ?

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"The Wire"
"The Wire"

Achevée en 2008, "The Wire" continue de passionner le monde du rap français, des vétérans jusqu’aux plus jeunes. Pourquoi cette série influence-t-elle autant les rappeurs ?

Il y a quelques jours, une interview de George Pelecanos, écrivain et scénariste américain, par le magazine français Society, annonçait une nouvelle assez folle pour les fans de The Wire : une suite à la série culte serait prévue, avec le même casting et la même équipe aux manettes (David Simon et Ed Burns). L’information était cependant démentie rapidement par David Simon lui-même, évoquant “quelque chose de perdu dans la traduction”. Concrètement, il travaille bien sur une nouvelle série se déroulant à Baltimore (lieu de l’action de The Wire), avec une partie de l’équipe qui avait fait la réussite de la série. Le rapprochement s’arrête là, une belle douche froide pour ceux qui rêvaient de voir si Marlo Stanfield avait remis la main sur les rues ou si Jimmy  McNulty avait enfin quitté son bateau.  

Dans le fond, ce n’est pas une mauvaise nouvelle :The Wire est une oeuvre tellement aboutie qu’il serait dommage de la retoucher en prolongeant l’histoire de ses protagonistes. Chose rare, sa conclusion au bout de cinq saisons en 2008 n’a provoqué aucun débat, aucune déception, et représente un vrai modèle d’épilogue pour une série télé. Depuis, David Simon a prouvé à plusieurs reprises qu’il était capable de créer des séries (The Deuce, Treme) ou des mini-séries (Show me a hero, The plot against America) d’un niveau équivalent. Il est donc finalement excitant d’imaginer une nouvelle histoire par le même auteur, à Baltimore, une ville qu’il connaît par cœur puisqu’il a écrit pour le Baltimore Sun pendant treize ans, avant de passer un an dans la police de la ville pour l’étudier de l’intérieur et écrire un livre sur le sujet.  

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Durant le confinement, les audiences de The Wire ont triplé aux Etats-Unis, en faisant l’une des séries star du moment, dix-huit ans après sa première diffusion. La plupart des spectateurs ont profité de leur temps libre à la maison pour rattraper enfin leur retard sur cette série culte, d’autres pour revoir une deuxième, cinquième ou dixième fois l’intégrale des soixante épisodes. Si OCS, diffuseur de la série en France, n’a pas encore fourni de chiffres sur les audiences pendant le confinement, beaucoup ont eu la même idée que leurs collègues américains et se sont lancés dans le visionnage des aventures d’Avon Barksdale, Omar Little et Bodie Broadus. 

Déjà très présent dans les textes de rap français depuis le milieu des années 2000, l’univers de The Wire a considérablement influencé bon nombre d’artistes de chez nous, entre les purs name-droppings (au hasard, Booba sur Kalash, “j'suis Marlo Stanfield, ta mère la hyène, t'es McNulty”), les spoils (Butter Bullets sur Rap Simmons), et les références indirectes (D.A. Uzi, “drogue dure comme à Baltimore”) ou plus cryptiques (13 Block, “S.E Wire mon pote”). En bref, on pourrait citer un nombre incalculable de lyrics inspirées par la série de David Simon, mais cette surabondance pose surtout question : pourquoi le rap français est-il si marqué par The Wire

Un vrai cours d’économie parallèle

Parmi les nombreuses thématiques abordées au cours des cinq saisons de la série, le business de la drogue à Baltimore reste la toile de fond. Du simple guetteur aux hautes sphères, des docks du port au blanchiment d’argent, tous les étages de la pyramide sont détaillés, liés entre eux, quitte à brouiller les pistes. Stringer Bell lit l’économiste Adam Smith, D’Angelo explique les règles de la rue à travers une simple partie d’échecs, les dealers qui utilisent un langage codé au téléphone ... Pour nos rappeurs, qui aiment eux aussi détailler les règles du business à leur échelle ou à des échelles qui les dépassent, ces scènes de The Wire ont une saveur particulière : elles nourrissent leur imaginaire, renforcent éventuellement leurs connaissances d’activités déjà pratiquées, ou font écho à leur propre parcours. Driver rappelle par exemple “je connais Stringer Bell, donc je parle en codes au phone-tel”, signe que les enseignements de la série ne sont pas perdus pour tout le monde. D’autres en font une analyse encore plus poussée, on se souvient de Despo Rutti qui comparait dans Convictions Suicidaires les différences politiques entre droite, gauche et centre aux différences entre les capsules rouges et bleues vendues aux camés : “au fond, la dope reste de la merde”. 

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Des gangsters charismatiques

Ces dernières années, de nombreuses séries sur le monde criminel ont basé leur succès sur le charisme de leurs personnages principaux : Peaky Blinders, Breaking Bad, Gomorra, etc. Si The Wire est avant-tout une fresque socio-politique dont le personnage principal reste la ville de Baltimore, elle peut également être vue avec un peu moins de hauteur, comme une pure série de gangsters. Dans ce cas, toutes les scènes centrées sur le système éducatif, la presse, ou les élections, pourraient sembler un peu longues, mais ce sera pour mieux apprécier celles sur le monde de la drogue et les règlements de compte. En termes de charisme, difficile de faire plus fort qu’Omar, unanimement considéré comme l’un des meilleurs personnages de la télévision américaine, et régulièrement cité par les rappeurs français ( MC Jean Gab1 qui affirme être Omar, Jul et son “si j’reviens dans l’secteur, c’est comme Omar dans The Wire”, etc). 

Les profils de Stringer Bell (Nakk, “notre couple est mort, la mort de Stringer Bell m'a plus marqué”) ou Marlo Stanfield (Georgio, “j'étudie le business plan de Stanfield Marlo”) sont également très appréciés dans le monde du rap, étant l’un et l’autre à la tête de leur propre réseau. Moins cités mais tout aussi charismatiques, Avon Barksdale est apprécié pour sa discrétion (F430, “j’fais des affaires à la Barksdale”), Bodie Broadus pour sa propension à charbonner (Carson, “pour quitter les taudis faut charbonner comme Bodie”), ou encore Proposition Joe pour ses nombreuses tentacules (Falcko, “j'me sens comme à Baltimore West sans les connex' de Prop Joe”). En somme, quel que soit le profil de rappeur, il existe forcément un personnage de The Wire qui correspond à sa manière d’envisager le business (de la rue, du rap) et auquel il peut s’identifier le temps d’une rime. 

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Des similitudes fortes entre Baltimore et les cités françaises

Malgré un taux d’homicide largement inférieur, une densité de toxicomanes au kilomètre carré moins élevée, et quelques autres différences notables, de nombreux points communs existent entre Baltimore et les cités françaises les plus désœuvrées. Dans un article très complet publié l’an dernier, Le Rap en France faisait par exemple l’analogie entre la scène de destruction d’une tour dans The Wire, et le couplet de N.O.S dans le titre Chang, extrait de Deux Frères (“j’aime trop mon zoo, tu comprends pas, pas l’même amour, grâce à mon Dieu ils ont pas cassé ma première tour”). Dans un cas comme dans l’autre, on est face au ressenti d’anciens habitants de ces bâtiments, qui y ont grandi et vécu des choses fortes, et ont développé de véritables attaches pour un lieu pourtant censé être misérable. De la même manière, le quotidien de certains rappeurs a beaucoup ressemblé à celui des jeunes dealers de Baltimore qui apparaissent dans la série : des journées à attendre assis dans un hall ou sur un canapé en plein air, des clients à gérer, des pénuries, des descentes de police … En regardant The Wire, certains revoient directement des scènes de leur vie, ou de celle de leur entourage. 

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Des rapports humains au cœur de l’intrigue

Dinos a plutôt bien cristallisé l’un des enjeux essentiels de la série l’an dernier sur le titre XNXX : “j'fais confiance à personne, j'ai vu The Wire trois fois”. Comme cela a été dit plus haut, certaines scènes peuvent être vues comme de véritables tutoriels d’économie parallèle. Sur le même principe, les relations entre les différents personnages peuvent servir de leçons sur la nature humaine, en particulier sur la notion de confiance. Trahisons (entre dealers, entre politiciens), mensonges (de la police, de la presse), corruption, compromis politiques, etc : à la fin de la série, on comprend bien que personne n’est à l’abri de trahir ou d’être trahi, et que les motivations qui poussent à se compromettre n’ont pas toujours un véritable sens moral. Le monde du rap s’est donc parfaitement retrouvé dans les thématiques humaines de la série, la trahison étant l’un des grands sujets abordés par les rappeurs sur une majorité d’albums. 

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Une série intemporelle

Particulièrement citée par les rappeurs expérimentés il y a dix ans voire plus (Lino, Booba, Seth Gueko, Despo Rutti, Nakk), The Wire est une série qui a touché différentes générations  à tour de rôle : celle de Gradur, Leto et Niska, puis celle de Koba laD, 4Keus Gang et Lesram. Si certaines technologies vues au fil des épisodes peuvent sembler obsolètes aujourd’hui (les téléphones jetables, les mises sur écoute avec un matériel dépassé, pas la moindre trace de PGP), ou que la mode a quelque peu évolué, le reste est toujours d’actualité : le business de la drogue est resté florissant, le monde politique ne s’est pas assaini, pas plus que les méthodes de la presse, les conditions de travail des services de police ne sont pas améliorées, et le taux d’homicide à Baltimore est toujours aussi élevé. En somme, quasiment tout ce qui est décrit dans The Wire pourrait s’appliquer aujourd’hui, raison pour laquelle la série parle autant à un cinquantenaire qu’à un jeune majeur, autant à MC Jean Gab1 qu’à Koba LaD.